C’est un premier roman et, pourquoi le cacher, ça se voit, parfois. Le scénario est dense, labyrinthique (« kafkaïen » ? Un pléonasme.) Les personnages sont nombreux, pressés, en survol au-dessus des pages. Mais c’est le formidable laboratoire littéraire d’un « génie génial », comme disait Borges. C’est un croquis, certes, mais gorgé de ce que Leo Perutz fera de meilleur (Le Maître du Jugement dernier, Le Marquis de Bolibar) : une reconstitution historique très « personnelle » – ici, la conquête du Nouveau Monde par Charles Quint et son fidèle caporal Hernán Cortés, avec à la clé le trésor des Aztèques, ce « peuple de moines, de danseurs et d’enfants » ; un héros imaginaire orageux et torturé – ici, Franz Grumbach, Allemand luthérien qui hait les inquisiteurs et tente, seul, enfin un peu aidé par le diable, de s’y mesurer ; une maîtrise déjà parfaite du pouls de ses lecteurs – le diable offre à notre luthérien une arquebuse et trois balles : l’une pour Cortés, la deuxième pour Mendoza, et la troisième, on ne le dira pas ; et surtout, sens de la surprise. Déjà, Perutz manipule comme personne. Déjà, c’est un crack en intoxication intellectuelle. Déjà, il badine et nous enchante. Quelle hauteur, déjà, et quel auteur.
La Troisième Balle, Leo Perutz, éditions Zulma