Jean-Marie Blas de Roblès revient sur le sentier familial : Dans l’épaisseur de la chair ressuscite un père, et sa famille. UN grand romans sur l’histoire des pieds-noirs.
Au commencement est l’étonnement. Un point d’interrogation. Et même des points d’interrogation. Comment raconter son père, « affronter ce je-ne-sais-quoi d’anormal qui consiste à accoucher son père » ? Ce père, Manuel Cortès, fils d’immigrés espagnols installés cette mise en ordre du chaos, à cette science du en Algérie, passé par les grandes convulsions de bruit et de la fureur qui régissent les destins des la deuxième moitié du XXe siècle, la Seconde humainsqu’onnommel’Histoire.L’immigration Guerre mondiale en Italie, puis en France, les espagnole en Algérie, la césure idéologique que massacres de Sétif, les « événements » d’Algérie, creuse l’antisémitisme dans l’entre-deux-guerres pour finir médecin des « gueules rouges », les en Algérie, avec les dates et les conséquences mineurs de Bauxite à Brignoles, en France dans précises de telle ou telle décision politique, à les années 60. Mais aussi, comment répondre à cette question plus large : qu’est-ce qu’un pied- noir ? Un détour biographique, historique, qui mène le narrateur à s’interroger sur lui-même : qui est-il, lui, Thomas Cortès ? Quelle histoire, quelle généalogie l’a façonné ? Dans l’épaisseur de la chair porte bien son titre, puisqu’il s’agit d’une radioscopie d’une famille, d’un homme et d’un peuple bringuebalé entre Espagne, Algérie et France. Une radioscopie, ou plutôt un exercice mental, philosophique, qui consiste à comprendre, car « il n’est pas si facile de percevoir ce que l’on voit ».
D’où, pour vertébrer cette chair dense d’événements et de faits, une grande rigueur épistémologique. Non seulement Blas de Roblès multiplie les notations ultra-précises – les gestes décortiqués, les mots exacts – comme pour faire droit au maximum aux exigences de minutie et de clarté de la raison. Mais, surtout, il a recours à cette mise en ordre du chaos, à cette science du en Algérie, passé par les grandes convulsions de bruit et de la fureur qui régissent les destins des la deuxième moitié du XXe siècle, la Seconde humainsqu’onnommel’Histoire.L’immigration Guerre mondiale en Italie, puis en France, les espagnole en Algérie, la césure idéologique que massacres de Sétif, les « événements » d’Algérie, creuse l’antisémitisme dans l’entre-deux-guerres pour finir médecin des « gueules rouges », les en Algérie, avec les dates et les conséquences mineurs de Bauxite à Brignoles, en France dans précises de telle ou telle décision politique, à les années 60. Mais aussi, comment répondre à l’instar du décret Crémieux… Tout se dévide prend place dans un grand récit. Mais le narrateur n’est jamais dupe. Il sait que l’Histoire éclaire autant qu’elle aveugle, qu’elle est une danse paradoxale entre la mémoire (une mémoire qui se rappelle trop souvent des fables) et l’oubli (le culte du passé n’occulte-t-il pas le présent?).
Alors Blas de Roblès fait appel aux forces de la littérature. De la poésie, d’abord. N’oublions pas que le romancier est aussi le poète de Hautes lassitudes. Comprendre, c’est voir, faire voir, retrouver ce que les Anciens appelaient l’« enargeia » (« évidence »), cette puissance d’évocation qui met une scène sous les yeux du lecteur et qui éclate lors de cette description de bataille : « Au commencement sont les obus, les mines, les roquettes. A coups d’éclairs, de zébrures crépitantes, à coups de cisaille dans le ciel, de foudre redoublée, il voit se déchaîner, s’enfler, se dissiper, se ranimer en convulsions soudaines, se durcir à nouveau , la fureur monstrueuse qui embrase la terre (…). » Mais il faut aller plus loin encore. Et c’est tout le sens de l’épisode- charnière du livre : la chute du narrateur dans la mer depuis le bateau paternel, qu’il a emprunté en solitaire, qui déclenche ses ruminations et ses réminiscences. Incapable de remonter à bord, il flotte littéralement entre la vie et la mort. Et tout se passe comme s’il se dissolvait : « Incrédule, apeuré, j’assiste à l’effacement de plus en plus manifeste de ce qu’il est convenu d’appeler mon corps. Jambes et bras ont cessé de me tourmenter ; ils répondent à peine à mes sollicitations, avec un temps de retard que je n’arrive pas à apprécier, mais qui rappelle le délai de réaction d’un appareil à une télécommande dont il faudrait se hâter de recharger les piles. Je ne serai bientôt qu’un émetteur vain, flottant, immobile, à la surface du monde des Idées. » Car sans doute est-ce ce point- là, d’effacement de soi, qu’il faut atteindre pour épouser parfaitement les contours d’une autre vie. Comme si le narrateur devait mourir pour raconter au plus près son personnage.
Dans l’épaisseur de la chair, Jean-Marie Blas de Roblès, éditions Zulma