Lorsque Noël Herpe décide de s’attaquer à la célèbre pièce écrite par Alexandre Dumas et Frédéric Gaillardet, grotesque et sublime sont de mise, comme dans tout bon drame romantique. Et le spectateur se laisse séduire par cette intrigue de cour qui mêle trahisons et révélations en tout genre.
Au petit matin, le peuple de Paris découvre les corps inanimés de jeunes gens flottant sur l’onde noire. C’est que la Tour de Nesle laisse la Seine charrier bien des cadavres. La Reine Marguerite (Jezabel Carpi) préfère ce sacrifice après s’être offerte à ces jeunes bouches, elle ne peut risquer de les voir se délier. Tout fraîchement débarqués à Paris, un certain Buridan (Noël Herpe) et le novice Philippe d’Aulnay (Baudoin d’Huart) se lient d’amitié, dans une taverne. Tous deux ont reçu la même invitation d’une dame voilée les conviant à la Tour de Nesle, une fois la nuit tombée. Le frère de Philippe, Gaultier d’Aulnay est déjà sur place et il a gagné les faveurs de la reine. La cour fourmille de courtisans prêts à tout pour conserver leur place et les lettres scellées passent de mains en mains pour délivrer l’amour ou la mort.
Masques, gants, bagues et dagues s’affichent dans des plans serrés pour affirmer les affinités étroites entre Eros et Thanatos. A l’économie de moyens répond le faste d’une interprétation qui vient chercher l’émotion du spectateur. Comédiens et costumes rivalisent d’artifices. La mise en scène façonne des décors astucieux. Les murs soudain s’ouvrent tels des placards, la Tour de Nesle se dessine dans les cadres, trappes et caveaux déguisés en chambre de torture se jouent des codes historiques et de l’outrance d’un mélodrame romantique dix-neuviémiste qui a soif de personnages travestis, de mensonges et de chausses-trappes. Aussi, les reines peuvent se faire courtisanes, les aventuriers cacher de vieux amants blessés déguisés sous les traits d’une diseuse de bonne aventure, les apparences se révèlent toujours trompeuses. Avec ou sans masque chacun opère un double jeu, chacun se couvre de probité puis lève le voile sur un passé douloureux. La Lucrèce Borgia hugolienne plane au-dessus des orgies noctambules d’une souveraine avide de chair fraîche jusqu’à dévorer celle de ses propres enfants. Les acteurs (de Noël Herpe à Michka Assayas en passant par Arthur Dreyfus) prennent un plaisir gourmand à se couler dans les rôles, costumés de collants colorés et à livrer bataille au texte. La force de cette adaptation réside dans sa volonté de préserver la dimension théâtrale et démesurée du sujet sans la transposer ni la policer, et surtout sans jamais négliger son côté « camp » à force de gros plans sur des visages maquillés, des traits froissés et des oeillades appuyées.
La Tour de Nesle, Noël Herpe, Tamasa distribution, en salles le 21 juillet