C’est un des premiers romans les plus prometteurs de cette rentrée. Retenez ce nom Kanche, ce prénom, Lou, et le titre de ce livre sensuel, vibrant : Rien que le soleil.
Au collège Albert Camus de Garges-lès-Gonesse, Norah Baume, professeur de français, tombe amoureuse d’un de ses élèves. D’origine algérienne, beau parleur, viril, mais assez mal dégrossi, la peau cuivrée, « Sofiane fait craquer ses doigts sans [la] quitter des yeux, drôle de chorégraphie de la gêne et de l’emprise ». Le visage de l’adolescent – « son image comme la foudre » – envahit bientôt l’espace mental de l’enseignante romantique qui voit dans ce voyou en puissance un Fabrice del Dongo moderne. Elle étouffe auprès d’un compagnon qui ne la désire plus, dans un milieu bobo, confiné dans l’idéologie libérale-libertaire du XIe arrondissement où les fantasmes baudelairiens s’assouvissent sur YouPorn. Ces « hommes éparpillés » l’ennuient ; elle leur préfère la sensualité solaire de son élève, et « le désir prend le pas sur le reste comme si ce môme avait tissé une toile dont [elle] ne pouvait se défaire, engluée en son centre ». Un voyage à Venise, où elle découvre la trahison, ne satisfait pas son désir d’évasion. Elle échange des messages téléphoniques avec Sofiane et rêve d’un « endroit isolé et calfeutré » où elle se blottirait contre lui comme dans un sanctuaire : « J’imagine qu’il y a dans le sentiment qui lie les êtres une affaire de compatibilité cellulaire dont on ne saurait avoir la maîtrise mais dont on saisit l’effet. »
« Pour qu’il y ait échappée, songe encore Norah, il faut bien qu’il y ait quelque chose à fuir. » Elle comprend « qu’il n’existe pas d’éclaireurs plus nobles que nos propres désirs ». Comme le personnage qu’interprète Nathalie Baye dans Une semaine de vacances de Bertrand Tavernier, elle se débarrasse des copies qu’elle est censée corriger et prend un train à la gare de Lyon, en direction du Sud.
C’est le début d’une vie vagabonde. Norah débarque à Marseille avant d’échouer à Toulon. De squat en squat, entourée de jeunes dealers à la dérive, elle s’amourache d’un certain Freddy Toss, gitan sans gêne ni relief, qui aimerait devenir, non pas son mentor, ni a fortiori son chevalier servant, mais son maque plutôt que son mec. Avec ou sans lui, « le cœur criant », elle poursuit sa cavale, en quête d’une échappatoire. Le lesbianisme, pas plus que l’indolence et l’oisiveté, ne la délivre d’elle-même. À vau-l’eau, elle se retrouve dans une impasse.
En proie à la superstition (elle consulte un voyant), impressionnée par les figures du Tarot divinatoire, comme la chanteuse de Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, elle interprète ses rêves (ses cauchemars surtout) et aspire à un mysticisme païen, une quelconque transcendance, qui puisse donner un sens à son errance, « mélange confus de sensations et d’images s’évanouissant dans le soleil ». On songe encore à La Cloche de détresse (The Bell Jar) de Sylvia Plath, autre roman autobiographique publié sous pseudonyme. Fascinée par le gouffre morbide de la drogue, l’héroïne de Lou Kanche ingurgite des « anesthésiants pour cheval » à défaut de somnifères. Par défi et en désespoir de cause. Elle rêve de prolonger son aventure au-delà de la Méditerranée, à Sétif, d’où Sofiane lui envoie une photo de lui, torse nu sur un scooter.
Rien que le soleil, Lou Kanche, Grasset, 216 p., 18,50 €