Les toiles de Megan Rooney sont d’infinies aventures à travers les formes et les couleurs. Conversation en attendant son expo de la rentrée à Londres, chez Ropac.
Tant pis pour le cliché : Megan Rooney (née en 85) a un monde. Au sens le plus littéral. Lambeaux à la consistance nuageuse, échancrures céruléennes, mais aussi radiances de veines aurifères, ou encore verts de sous-bois, tout cela, terre et ciel, est pris dans le tourbillon immobile de ses grandes toiles. Mais le monde de cette géniale coloriste est loin d’être désert, témoin sa série (Old Baggy Root) à la facture faussement enfantine, où chaque visage est un petit miracle de présence incarnée.
Il y a dans vos grandes toiles quelques chose de mouvant, comme un ciel toujours changeant…
Blue Departure, qu’on verra à Londres, est le fruit d’un long travail d’addition et de soustraction. Car j’aime aussi procéder à l’envers, ôter de la peinture, comme si je creusais un tunnel à travers la surface. Je voyage pendant longtemps au cœur de la peinture, j’accumule des informations, et puis je cherche un moyen, une voie, pour sortir de la peinture. C’est une démarche plutôt étrange, on avance et on recule dans l’image. C’est une conversation avec celle-ci, une façon de négocier, qui se traduit sur la toile par les marques, les taches, les rayures… C’est aussi une façon de sentir la toile comme un espace où votre corps peut se déplacer.
Mais cette « conversation » n’a pas seulement lieu avec l’image…
Je m’appuie toujours sur ce que j’observe autour de moi. Mon principal collaborateur officieux, c’est la ville. Là, les choses sont prises dans un flux permanent, le paysage urbain se modifie sans cesse, d’une minute à l’autre, en fonction de l’atmosphère, de la période de l’année. Je sors, j’engrange des informations en marchant. Et la ville a une logique qui lui est propre. On se rend au British Museum, on remarque des feuilles qui sont tombées derrière les piques destinées à éloigner les pigeons, elles ressemblent à des peaux animales étranges, à des petits corps abandonnés et je suis soudain très émue. Et puis on repasse, et ces feuilles n’ont plus rien d’extraordinaire. Ce qui m’intéresse, ce sont les petites observations. Il y a aussi beaucoup d’analogies entre la ville et la peinture : je pense toujours à la construction, aux ouvriers. Parfois, il faut excaver toute une rue, pour ensuite la remettre dans son état initial. Même chose pour la peinture, elle ne peut pas être belle tout le temps, sinon elle est superficielle, privée de vie. Il faut savoir la trahir, utiliser des couleurs qui n’ont rien à faire ici, travailler contre elle à un moment…
Ces « petites observations » ne vous empêchent pas de pratiquer le grand, et même le très grand format : vous avez réalisé des peintures murales dans des bâtiments, comme le Salzburger Kunstverein ou le Museum of Contemporary Art à Toronto…
La peinture est l’occasion de perturber la logique de l’architecture, sa charge historique par exemple. La peinture est déstabilisante, elle vous joue des tours, elle se dérobe, elle vous séduit. Et elle nous ramène aussi à notre existence d’êtres humains, à cet instinct qui nous pousse à laisser une trace, mettre quelque chose sur un mur, pour dire j’étais là, j’ai vu le soleil, j’ai vécu, j’ai fait quelque chose ici, dans le monde.
Les effets quasi atmosphériques de vos toiles, les échelles de vos peintures murales… le nom de Monet vient tout naturellement…
Absolument ! J’avais vu une expo sur Turner, Whistler et Monet à Toronto quand j’étais plus jeune. Et la dernière période de Monet m’a toujours paru être le moment où il devenait vraiment intéressant. Ce n’est pas tant la précision de la description qui importe, mais plutôt la façon dont les couleurs interagissent.
Je n’ai pas pu non plus m’empêcher de penser à Turner…
Ce n’est pas un peintre que j’observais attentivement, ses paysages m’intéressaient peu, mais, il y a quelques mois, on m’a suggéré d’y songer. Et effectivement, si on élimine les ports et tout le reste, et si on ne garde que les morceaux de ciel, c’est plutôt radical.
Exposition Megan Rooney, BONES ROOTS FRUITS, Thaddaeus Ropac, Londres, du 7 septembre au 9 octobre.
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