Nimbée d’étrangeté, sexuelle et sans complexes, la peinture de GaHee Park retient l’œil par sa maîtrise et sa densité. Impressionnant.
La Coréenne (puis New-Yorkaise et, à ce jour, Montréalaise) GaHee Park aime les rideaux. Qu’elle combine à de complexes mécanismes visuels : images dans l’image, raffinement des surfaces poussé jusqu’à la synesthésie, jusqu’à l’impression tactile, sens quasi flamand du détail, voire succession kaléidoscopique de visages. Des rideaux qui peuvent avoir un aspect insistant. Et prendre eux aussi ce lustre que revêtent les accessoires canoniques de la scène d’intérieur ou de la nature morte : fleurs, reliefs de repas, verres… parsèment les toiles de GaHee Park. Dès lors, on est tenté de trouver une hérédité à ce tropisme de la tenture : le sein pincé de la Gabrielle d’Estrées de l’Ecole de Fontainebleau, avec la sophistication de la composition, son aura d’énigme et de sexualité ? Les scènes magrittiennes, ces petits théâtres où se déploie l’« autre scène » freudienne ?
Qu’importe : GaHee Park, nourrie à Chirico et à Nagisa Oshima, conçoit sa peinture comme une invitation à écarter les voiles de la conscience. A pénétrer dans ces intérieurs psychiques où, comme chez un Louis-Paul Guigues, elle nous rend témoins d’instants intimes qui semblent obéir à une loi propre, rigoureuse comme un rituel, toujours hermétique au profane. Voici un couple endormi, un verre à cocktail et une coupe de champagne donnant à voir leurs yeux ouverts ; ou une égérie de magazine qui sort littéralement des pages de papier glacé ; mais aussi ce bouquet de fleurs poudroyant de neige et devant lequel passe, sa coquille close comme le sens de l’image, un escargot…
Mais GaHee Park n’a garde de confondre psychanalyse et peinture, toile et divan. La séduction freak qui émane de ces corps qui auraient été, pour la plupart, recalés lors du casting pour l’homme de Vitruve (mais dont certains auraient été accueillis à bras ouverts par Botero), cette séduction ne doit pas faire oublier qu’il s’agit d’abord de sexualité. De corps plus ou moins nus, désirants, ou venant juste de désirer, enlacés ou assoupis. Pour la jeune femme (née en 1985), il y a d’abord un effet-soupape : dans sa peinture s’épanouit toute cette frange sulfureuse et scandaleuse de la vie – sulfureuse et scandaleuse, en tout cas, a-t-elle pu confier, dans la société coréenne où elle a grandi, où tout ce qui est sous la ceinture est mis sous le boisseau. Il s’agit encore de soulever un rideau – celui, si pesant, du tabou.
Mais le processus de dévoilement ne s’épuise pas dans la terra incognita de l’inconscient ou dans la terra trop cognita des interdits. Il s’étend aussi à nos hiérarchies. Voici une poire, très phallique : ce qui n’aurait pu être qu’un faire-valoir, un calembour visuel, a une présence picturale qui n’a rien à envier aux fruits de Cézanne. L’infra-ordinaire est ennobli, notre échelle habituelle des valeurs révélée pour ce qu’elle est : vaine. La peinture de GaHee Park, mystérieuse, sexuelle, est radicale.
Exposition GaHee Park, Galerie Perrotin, du 4 au 23 septembre.
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