Toute rentrée littéraire nous confronte au retour du même. Les écrivains dans leur grande majorité sont aussi conformistes que n’importe quel individu. Quel ennui. Combien de livres que nous essayons de lire sont des livres que nous avons lus mille fois ? Combien de livres, reflets de papiers de la télé ou des réseaux sociaux d’aujourd’hui, dont les personnages de mâles sont violeurs, harceleurs, sales bêtes à abattre ? Combien de livres s’ébattent une fois de plus avec leurs douleurs, leurs geignardises, leurs traumatismes que nous connaissons maintenant par coeur ?
Christine Angot, Edouard Louis, même combat. De nouveau ils font paraître un livre ; de nouveau, ils gémissent ; de nouveau, ils bégaient. Rien de plus de normal : l’autofiction (dont le mot de fiction est le plus souvent usurpé) s’épuise vite. Une fois que vous avez raconté votre passionnante et folle vie, que reste-t-il à écrire ? Un livre, oui, parfois excellent ; un deuxième livre, peut-être, (l’histoire de la grand-mère, d’un oncle, d’un viol, d’un inceste n’avait été qu’ébauchée dans le premier livre) ; mais le troisième, le quatrième : nécessairement du bis repetita, au grand déplaisir du lecteur. Les confessions d’une Angot et d’un Louis se muent peu à peu en étalage, déballage, pornographie. À bien y voir, Rousseau, Chateaubriand, Saint Augustin, Musset réglèrent la question confessionnelle en un livre, une fois pour toutes. Car ils savaient qu’on dit une vie une fois pour toutes, et qu’il faut, à un moment donné, se tourner vers le monde, (rappelons-nous Goethe mourant et traçant du bout de son doigt sur la poussière d’un livre le mot Welt), synonyme de mille possibles, de mille histoires, de mille aventures, de mille pensées, de mille commentaires.
Charles Dantzig, lui, a compris quelque chose qui lui permet d’éviter cet ecueil du bégaiement : il aime la littérature, à l’inverse d’une Angot et d’un Louis qui la méprisent (il suffit de les écouter en interview pour s’aperçevoir qu’ils n’en parlent jamais). Dantzig aime la littérature et l’épargne donc du bégaiement. Pourquoi ? Parce qu’obstinément, avant même de savoir ce qu’il écrira dans son livre, il cherche une nouvelle forme, un nouveau cadre, une nouvelle impulsion qui supporteront ses phrases et ses mots. Et cette recherche obstinée d’élan formel semble à chaque fois le mener sur des sentiers de traverse où il croise des idées qu’il n’aurait sans doute pas eues, ou qu’il aurait eues de manière banale, comme Angot, comme Louis. Comme Dizzy Gillespie se lançant dans un solo de trompette (Dizzy car comme Dantzig, Dizzy est un ludique), Dantzig part en free style, à partir par exemple du mot Cravate. Point de dandysme creux chez l’auteur, même s’il aime depuis toujours, pas moins que Balzac, décrire les habits. On sourit, of course, de sa fantaisie, mais le passage en dit long en court sur ce que fut l’enfance de l’écrivain ; « Une cravate est un enfant dont on vérifie avec concentration s’il est bien peigné, a brossé ses dents, n’a pas la chemise hors du pantalon. J’ai attentivement aimé une certaine cravate-foulard à cause de sa mollesse, comme on s’attendrit sur un enfant remuant avec une croûte au genou ; elle ne tient pas en place ! La première fois que je l’ai portée, elle m’a charmé par sa manière de décroiser les jambes, d’avoir la casquette de travers. (…) Cette petite cravate hésitante est mon enfance heurtée. »
Tout le livre, Théories de théories oscille de la sorte entre théorie, poésie, intimité. Et jamais sa prose ne se repose, prose à sauts, cabrioles et gambades… c’est que Dantzig a si peur de la médiocrité, du cliché, qu’il avance à vive allure, évitant la chute.
Mais le plus estimable me semble-t-il chez Dantzig, est qu’il invente une nouvelle manière de s’épancher. Par pointillés, maquillée de références, dissimulée sous les théories, enfouie sous des traits d’esprits. Le mystère de sa vie, de son enfance, de son adolescence et d’ensuite, se découvre en clair-obscur, livre après livre. C’est sa manière de durer, là où Angot et Louis sont des torrents de boue (aime-t-on à un dîner se retrouver à côté de quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vous prend en otage et vous raconte à l’oreille ex abrupto sa vie, ses douleurs, ses angoisses, alors qu’à table, les autres conversent pour rendre leurs vies plus aérées ; c’est la même chose).
Lisez Théories des théories, de Charles Dantzig, c’est l’école buissonnière.
Edito général
Charles Dantzig, à rebours du bégaiement