Magnifique expo que cet Ultime Combat, Arts martiaux d’Asie, qui court des plus anciennes traditions spirituelles aux films de Bruce Lee.
En Orient, tout art martial est un sacerdoce. L’adepte se change en moine dès qu’il s’engage à en suivre la discipline. C’est ce que suggère Ultime combat, l’exposition consacrée aux arts martiaux d’Asie que propose le Musée du quai Branly. « Ultime », l’épithète du titre d’exposition, a aussi bien le sens de « dernier » que celui, anglais, d’ultimate, « suprême ». En parcourant ces salles, on assiste à une série de ballets aux figures savamment orchestrées : qu’il s’agisse de judo, de taï-chi, d’aïkido ou de ju-jitsu, les grands maîtres sont des chorégraphes qui inventent une gestuelle, une scénographie et une dramaturgie. Inspirées d’exercices corporels et spirituels comme le yoga ou la respiration tantrique, les techniques expressives de combat ont été hissées au rang de l’orchestique avant de devenir des sports au xxe siècle.
Entre les écrans où sont projetés des classiques du cinéma japonais, comme Les Sept Samouraïs d’Akira Kurosawa ou Harakiri de Masaki Kobayashi, un bel assortiment d’armes, hallebardes, tridents, poignards, matraques, casques et armures, souligne le rapport sous-jacent qu’entretiennent la liturgie de la guerre et les rituels religieux : l’enjeu est toujours d’impressionner l’adversaire ou le disciple. Les sacrements sont des marquages, et le guerrier est consacré par les blessures qu’on lui a infligées comme le néophyte par le baptême ou la circoncision.
La lutte indienne ou kushti s’inscrit pleinement dans la croyance au dieu Hanuman, réputé, comme Hercule, pour sa force (shakti) et sa dévotion (bhakti) envers Rama, le héros de l’épopée du Ramayana, un avatar du dieu Vishnou. Représenté avec une massue qui évoque ses prouesses martiales, il fait figure de divinité protectrice à l’entrée des villes ; c’est donc avec cette arme que combat le lutteur indien, intimement associé à Hanuman : son attachement à Rama fait écho à celui de l’apprenti à son gourou.
Au Japon, le prestige de la lame d’acier n’est pas moins emblématique : c’est l’instrument du démon qui tranche, perce, découpe — métaphore de l’homme libre et solitaire dont l’itinéraire est ponctué, par nécessité, de choix cruels. Comme le remarque Seikou Ito, « à l’origine, les arts martiaux servaient, certes, à se défendre, mais il existait aussi un code moral, le bushido (ou “voie du guerrier”), qui empruntait quantité d’éléments au bouddhisme et au shintoïsme et encourageait ses adeptes à progresser spirituellement en se confrontant à eux-mêmes ». L’esprit chevaleresque qui présidait à l’éthique des samouraïs pouvait conduire au suprême sacrifice du martyr, comme le prouva Yukio Mishima en se donnant le seppuku.
Les films de sabre ont atteint leur apogée au Japon en même temps que le western en Occident, dans les années 1970 ; les mangas et les jeux vidéo se sont emparés du genre, comme on le constate dans les dernières salles de l’exposition : l’idéologie belliqueuse est passée de la danse esthétique, tout empreinte d’un érotisme sublimé, à l’animation ludique. L’apothéose du combat est sa projection fantasmatique à son paroxysme.
Ultime combat, Arts martiaux d’Asie. Musée du quai Branly – Jacques Chirac
Exposition du 28 septembre 2021 au 16 janvier 2022
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