L’esprit trublion de Marlene Monteiro Freitas accouche de sa fresque la plus monumentale à ce jour. Ordre, structures et institutions font face à l’ivresse des dieux : Mal – Embriaguez Divina. Ce sera l’un des points d’orgue du festival Mesure pour Mesure en novembre au Nouveau Théâtre de Montreuil.
Le tribunal, l’armée, le clergé. Trois institutions qui veillent sur nous et nous préservent du « Mal ». A moins qu’elles ne l’inventent pour justifier leur propre existence, rentrant dans des schémas qui virent à l’obsession. Et bien sûr, il y a l’administration, à priori neutre, mais demandez à un certain Kafka ce qu’il en pense. Mal – Embriaguez Divina est une fresque gestuelle entre discipline et folie, où les piliers de l’autorité affrontent les forces du désordre qui la narguent sans cesse : la folie, l’animalité, les instincts… Par les images d’une lutte acharnée entre Bacchanales et Mars, Marlene Monteiro Freitas nous interroge sur notre propre attitude face à ces phénomènes protéiformes qui peuvent s’emparer de nos esprits et nous emporter, peut-être vers le « Mal », mais à coup sûr vers l’imprévu. Cela pourrait s’appeler : la transe.
En tant que chorégraphe, et pour éviter toute dilatation, il lui faut donc faire régner l’ordre, au moins à la surface, et s’engager dans une lutte permanente contre l’insoumission des corps. C’est pourquoi les bancs du tribunal sont ici également ceux de l’école, pouvant rappeler La Classe morte de feu Tadeusz Kantor, où s’estompent les distinctions entre acteurs, pantins et marionnettes. A moins que la curieuse assemblée ne soit en même temps un public d’opéra ou de théâtre ?
Dans ce grand castelet tout commence par une étrange partie de volleyball, vite balayée par un régiment militaire avec ses drapeaux et sa cérémonie, à son tour subvertie par des danses sataniques ou tribales. L’espace lui-même tente en vain d’imposer son ordre rigoureux et sa hiérarchie, avec des gradins très autoritaires où tous finissent par plier mécaniquement du papier, fabriquant les maisons et clochers d’une ville entière, cité imaginaire aussitôt rasée par le bruit de la guerre.
Sous ses airs d’art répétitif, Mal – Embriaguez Divina cache une opulence visuelle et sensorielle, un bouillonnement souterrain de rites, transgressifs et indispensables au bien-être collectif. Il faut ensuite évoquer Mariana Tembe, désarçonnante dans les rôles de la reine et du juge, car sa condition physique relève d’une symbolique profonde. Amputée des deux jambes mais dotée de capacités cinétiques stupéfiantes, elle confère aux tableaux-clefs une touche surréelle et kafkaïenne, alors que son corps résume l’énergie positive qui permet de rebondir en direction du « Bien ».
Marlene Montero Freitas cultive depuis longtemps un art du geste grotesque et grimaçant qui remet en question le diktat du rationnel, art de l’exubérance très structuré où l’interprète, à la fois sauvage et automate, est loin de représenter simplement un autre être humain. En témoignent ses dernières créations et leurs titres comme D’ivoire et chair – les statues souffrent aussi, Jaguar ou encore Bacchantes – Prélude pour une purge. Et partout lorgne, en arrière-plan, l’esprit carnavalesque qui s’est emparé d’elle au cours de son enfance capverdienne. Jusqu’à faire éclater aujourd’hui une « ivresse divine ».
Mal-Embriaguez Divina, de Marlene Montero Freitas, au Nouveau Théâtre de Montreuil, du 10 au 13 novembre, dans le cadre du Festival Mesure pour Mesure.
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