Rencontre avec Sébastien Daucé, à la tête de l’ensemble Correspondances, qui crée aujourd’hui Cupid and Death au théâtre de l’Athénée, une œuvre baroque qui ouvre sur la naissance de l’opéra anglais.
Cupid and Death s’avère une curiosité, « un masque » du premier baroque anglais. Pourquoi vous intéresser aujourd’hui à cette forme qui annonçait l’opéra ?
Avant de faire un premier « vrai » opéra, je voulais cogiter sur ce qu’on pouvait faire sur scène qui ne soit pas de l’opéra : on a fait des ballets, des songs avec Samuel Achache et nous voici avec un « masque ». Le masque a disparu, mais a existé autrefois. C’était le grand genre de la fin du XVIe et du XVIIe siècle, le socle des comédies de Shakespeare, car ce n’est pas un opéra, ce n’est pas chanté en continu. Mais on en a perdu toute trace. Cupid and Death s’avère le seul masque complet. C’est ici une comédie qui occupe le centre du projet. Autour du théâtre, il y a de la musique, soit les personnages se mettent à chanter, soit à danser, mais le cœur est une comédie avec un humour très burlesque, très anglais, un peu dans la lignée des Monty Python, avec cet esprit un peu décalé, un peu ubuesque. Ce fut écrit dans un contexte politique spécial, sous une république, il y régnait une liberté de ton hors du commun….
L’argument est inspiré d’une fable d’Esope méconnue sur l’amour et la mort…
C’est un grand quiproquo : la mort et l’amour vont échanger leurs flèches, et Cupidon va décharger ses flèches sur des vieillards, la mort va emporter des jeunes couples…C’est l’histoire d’un monde sens dessus dessous.
Pour nous, la question du livret est cruciale. J’ai plus de mal avec le répertoire traditionnel de l’opéra, parce que j’ai du mal à entrer dans les histoires. Alors que là, c’est vivant, fantasque, mais aussi une réflexion sur la manière dont l’amour et la mort s’intègrent dans le cours de nos vies, et c’est cette dimension philosophique qui m’intéresse. Comme chez Shakespeare, une nouvelle fois, sous le couvert d’une comédie, c’est une réflexion qui se déploie.
Locke est une figure importante du baroque anglais, influençant notamment Purcell…
C’est la génération qui a précédé celle de Purcell : une génération hyperinventive, c’était une époque d’une grande effervescence, mais très dure pour les musiciens, parce que les changements de régime se faisaient dans le sang. Locke est un représentant de cette génération qui fait naître la génération de Purcell, Haendel. Il est un génie absolu, mais j’ai toujours le sentiment que ses synapses ne sont pas connectées comme les nôtres. C’est étrange et génial. Je pense que Locke est un des premiers grands musiciens à avoir un sens du théâtre, on le découvre actuellement au plateau.
Quels sont les points communs entre ce Cupid and Death et le Ballet Royal de la Nuit que vous avez si magnifiquement recréé en 2017 ?
Les deux projets ont été écrits et joués la même année, en 1653. C’est fascinant de voir ce qui se fait de chaque côté de la Manche au même moment. C’est ça qui m’anime, d’aller chercher des choses disparues qui pourraient encore se raconter en 2021. Mais les deux m’ont demandé un travail de réécriture : Cupid and Death, c’est le seul masque en effet dont on conserve le livret, la partition, qui est même un autographe, mais on n’a pas tout. Locke n’a copié que la basse et le violon, il a donc fallu inventer le reste. J’en ai un peu bavé, mais je suis content de ce résultat.
En travaillant sur le premier baroque comme vous le faîte, cherchez-vous à remonter aux origines de l’opéra ?
Un peu comme un alchimiste, je suis fasciné par ces gens qui ont tenté un alliage pour trouver la quintessence de la musique. Se mettre dans la peau des uns et des autres, tout ça, c’est un peu un travail d’archéologue, de chef cuisinier, et c’est ça qui me plaît avant toute chose.
Cupid and Death, de Shirley, Gibbons and Locke, direction musicale Sébastien Daucé, avec l’ensemble Correspondances, mise en scène Jos Houben, Emily Wilson, Théâtre de l’Athénée, du 18 au 27 novembre.
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