À la Colline, Alexandra Badea met un point final à sa trilogie, Points de non-Retour. Poursuivant son exploration des récits manquants de l’Histoire de France, elle s’intéresse aux enfants de la Creuse.
En 2013, Lors de la cérémonie de naturalisation, qui a fait de l’autrice d’origine roumaine, une Française, il a été demandé à Alexandra Badéa d’assumer sans restriction l’histoire de sa patrie d’adoption avec ses moments de gloire, mais aussi ses zones d’ombres, ses secrets inavouables. Loin d’être anodin, l’acte questionne l’autrice et metteuse en scène, l’oblige à un devoir de mémoire dépassant de loin la sienne propre. Plongeant dans les zones d’ombres de ce pays tant désiré, elle met en lumières celles qui ont été gommées, oubliées au nom de la grandeur de la nation.
Après s’être intéressée au massacre des tirailleurs sénégalais commis par l’armée coloniale française en 1944 dans Thiaroye, puis à la répression sanglante des manifestants algériens par la police à Paris en 1961 dans Quai de seine, opus qu’elle a entièrement réécrits, l’autrice et metteuse en scène jette un regard compassionnelle sur les vies brisées des enfants de la Creuse. Cette fois, Nora (Sophie Verbeeck), réalisatrice de documentaire et personnage récurrent de la trilogie, part à la recherche de son passé, plus exactement de celui de son père. Orphelin, il a séjourné un temps dans un foyer d’accueil. Afin de reconstituer les bribes de son histoire, la jeune femme convoque dans ce lieu fermé depuis longtemps d’anciens pensionnaires.
Au fil des mots, des paroles libérées lors d’entretiens filmés, les mensonges, les fanfaronnades font place à la colère, à la vengeance, à la vérité enfin révélée. D’autres récits, que ceux rendus officiels par les autorités de l’époque, se dessinent. Derrière les murs en ruine, les fantômes du passé ressurgissent, demandant réparation. Les manquements d’un état complice de la déportation de plus de 2 150 enfants réunionnais entre 1962 et 1984, arrachés à leur racine, pour repeupler les déserts ruraux de la métropole, et accessoirement servir de mains d’œuvres gratuites aux paysans.
Entremêlant réalité et fiction, déplaçant le curseur de son regard vers des récits plus intimes, Alexandra Badea s’éloigne de la grande histoire et du ton didactique qui dominait les précédents opus, pour s’intéresser, non pas uniquement aux enfants de la Creuse, mais à tous ceux qui ont été ou sont placés dans ces lieux de vie où ils sont le plus souvent livré à eux-mêmes, ces foyers d’accueil de la DDASS. Écriture plus fluide, plus poétique, plus ancrée dans une épure naturaliste, elle signe une œuvre humaine, romanesque. Entourée de sa troupe fidèle – Amine Adjina, Madalina Constantin, Kader Lassina Touré, Véronique Sacri et Sophie Verbeeck -, l’autrice, comédienne à l’occasion, met un point final à sa trilogie tout en rappelant la nécessité de continuer à combler les récits manquants de notre histoire nationale.
Points de non-retour [La diagonale du vide] d’Alexandra Badéa et sa Trilogie.
Du 12 janvier au 6 février à la Colline – Théâtre national