Eric Vuillard, fin observateur des zones d’ombre de l’histoire, revient avec Une sortie honorable à l’effroyable guerre d’Indochine.
Toute l’œuvre récente d’Éric Vuillard, publiée dans la collection « Un endroit où aller » des éditions Actes Sud, est une relecture pointilleuse de l’Histoire mondiale et de ses heures les plus noires. Récompensé par le Prix Goncourt en 2017 pour L’ordre du jour, l’écrivain et cinéaste a pris la bonne habitude de rouvrir les dossiers afin d’en étudier au plus près les pièces et en portraiturer les protagonistes avec un regard implacable. Après La guerre des pauvres (2 019), qui lui valut d’être finaliste de l’International Booker Prize, le revoici en librairie avec Une sortie honorable. Un récit où il s’attelle cette fois sur le cas épineux de la guerre d’Indochine. L’une des plus longues guerres modernes. La plus féroce guerre coloniale qui fit trois millions de morts.
Eric Vuillard nous ramène donc au siècle dernier. En l’année 1950. À l’automne, après le désastre de la bataille de Cao Bang. Dans une ville du nord d’un pays où la France avait naguère implanté une société d’étain, des mines de charbon ou des gisements aurifères. Nous voici invités à l’Assemblée nationale, institution en ce temps-là présidée par un homme de soixante-dix-huit ans, Edouard Herriot, également maire de Lyon. La situation actuelle n’est pas des plus brillantes. La guerre d’Indochine coûte cher à la France, bien trop, soit un milliard par jour. Pour changer la donne, il faudrait augmenter les effectifs et les crédits. Lors de la séance du 19 octobre, un homme prend la parole. Il s’appelle Pierre Mendès France, possède un « regard doux, mais déterminé », s’exprime dans une langue « prudente, raisonnable ». Mendès, lui, laisse entendre un autre son de cloche et propose de négocier. Ce qui ne fait pas l’unanimité. Le gouvernement n’est encore pas prêt à lâcher l’Indochine, clé de voûte encerclée du Sud Est asiatique.
Il est donc décidé d’envoyer sur place le général de Lattre de Tassigny que l’on nomme aussitôt haut-commissaire et commandant en chef. Celui-ci semble confiant, persuadé que la guerre durera tout au plus deux ans. Sauf que le miracle espéré n’aura pas lieu. Qu’entrera ensuite dans l’arène le général Navarre aux brillants états de service. Sa mission est d’une autre nature. Il se doit de trouver une « sortie honorable », tant la déroute s’annonce imminente, et met en place l’opération Atalante. Navarre milite d’abord pour refuser net le cessez-le-feu avant de tourner casaque. Une autre bataille va s’achever par la victoire décisive du Viêt Minh. Celle du camp retranché de Diên Biên Phu, dans le nord du Viêtnam, en mars 1954 qui va se terminer par la défaite des forces française…
Documenté et muni de la plume affûtée qu’on lui connaît, Éric Vuillard remonte le cours tumultueux des événements en regardant au plus près le monde politique et militaire de l’époque, cherchant « à saisir quelque chose, effleurer une vérité que l’on n’atteint que par le langage ». Ce qu’il réussit ici de la meilleure des manières.
Eric Vuillard, Une sortie honorable, Actes Sud, 208 pages, 18, 50 euros.