La chanteuse Keren Ann Zeidel pare sa musique de rouge avec l’opéra Red Waters, mis en scène par Arthur Nauzyciel. Une féérie mélancolique, dans laquelle des jumeaux, séparés à la naissance, tombent amoureux.
L’action de Red Waters se situe dans un village isolé « où le vin coule dans les rivières » et où se déroulent des rituels étranges. Qu’est-ce-qui vous a donné envie de composer avec Barði Jóhannsson votre premier opéra ?
C’est une demande d’Arthur Nauzyciel qui connaît notre travail depuis longtemps. Il avait aimé certains de nos projets comme Lady & Bird(2003). On y mélangeait les registres fantastiques et mélancolique, parfois gothiques. Comme des contes d’enfants pour adultes, en rapport avec notre attachement à des paysages nordiques. Une façon aussi d’aborder des sujets de sociétés avec distance. Par ailleurs, nous avions l’habitude de nous isoler pour créer, influencés par l’environnement sonore, y compris naturel, qui nous entourait. Je pense que cela se ressentait dans la musique. Et puis je crois qu’il aimait beaucoup notre histoire : Barði Jóhannsson et moi sommes très proches, très amis. Quand je l’ai rencontré je disais que c’était comme si mon ami imaginaire avait pris une forme physique. On a contacté le poète Sjón, dont on aime la vision absurde de l’amour et de la vie. Il nous a retrouvé à Reykjavík. Très vite s’est posée la question des personnages. On aimait beaucoup l’idée des jumeaux qui se retrouvent attirés comme des aimants, l’idée d’une communauté recluse, avec son histoire, ses valeurs et ses grands non-dits. Puis nous sommes partis en résidence à Orléans pour l’écrire.
Qu’est-ce qui vous a le plus séduite dans l’idée de composer un opéra ?
On aime la coupure, en cinq ou six scènes, l’expression. Ce qui nous plaisait le moins c’est l’expressivité très grande du tragique dans les voix et les instruments d’opéra. On est plus partis vers une école anglaise : chaque instrument s’exprime sans vibrato, tout est dans les mots et les professions harmoniques. On rêvait que chaque interprète procure l’émotion sans y mettre de l’émotion. Qu’on ressente l’histoire dès la lecture la plus primitive, que la dimension épique soit plus naïve. Raconter le tragique ne devait pas être tragique, cela devait être sobre.
L’opéra suggère-t-il une influence classique ?
Évidemment, nous sommes influencés tous les deux par la musique classique. Mais, même si l’on aime Stravinsky, Rachmaninov et même Wagner, nous ne nous sommes pas aventurés vers ce qui, instinctivement, n’était pas dans nos moyens d’écritures. Nous sommes par ailleurs très fans de Philippe Glass et Steve Reich. L’évolution dans la répétition, la création de mantras musicales avec une évolution harmonique dans la musique nous intriguait. On voulait exploiter cette dimension avec divers instruments et des voix évoquant aussi bien des rituels et leur aspect répétitif que des chants gothiques, tout en gardant une forte dimension poétique. On avait l’habitude d’écrire les cordes chacun de notre côté, c’est intéressant d’ajouter les cuivres, les percussions…
Dans quelle direction entraînez-vous les voix qui interprètent Red Waters ?
On a choisi des solistes et une chorale qui étaient partants pour réaliser un travail d’épure. On voulait que la blessure ne soit pas exprimée avec la voix. Chaque soliste, chaque instrument est presque comme un vaisseau. L’exercice n’est pas simple mais c’est extraordinaire pour nous compositeurs ! On reconnait tout de suite la différence entre un vibrato et un chant intimiste et épuré.
La mise en scène d’Arthur Nauzyciel ressemble-t-elle à ce que vous imaginiez ?
Oui, son travail est très architecturé. On se voyait très régulièrement pendant la composition. Puis, il nous a demandé de participer à des réunions avec le scénographe, le créateur lumière… Il est important pour Arthur que chacun ajoute sa part. Cela ne pourrait pas ne pas correspondre à notre imaginaire.
Red Waters, de Keren Ann Zeidel, mise en scène par Arthur Nauzyciel, à l’Opéra de Rennes, du vendredi 28 janvier au vendredi 4 février