C’est un de nos plus grands peintre et, via des gouaches et des sculptures, il continue à défricher un art dont la simplicité est d’une richesse infinie. Magistral.
Bandes horizontalement étagées là ; ailleurs, les mêmes, mais en rangées de fût verticaux ; tantôt un rose délicatement exsangue, tantôt un bleu plus péremptoire, l’un comme l’autre hardiment striés de blanc, chacun des sillons à la fois hésitant et ferme – comme s’il leur fallait s’inscrire dans une matière meuble et résistante, la poussée du grattement faisant affleurer les lignes de billons bleus ou roses. Quel soc, soumis à la patience prodigieuse de la main, les a tracés, ces sillons ? Quel soc affranchi du servage de l’inflexible ligne droite a aussi pu décrire cet emboîtement de courbes où l’œil ne délabyrinthe aucune issue ? Et voici qu’à la suggestion des champs succède un éboulement sur un fond orange d’agrume. Doubles crochets tors et symétriques de 8 inachevés ou de S, enchâssements de demi-cercles soudés au mamelonnement de leurs extrémités, crocs ou cannes, tout cela dans un blanc d’intensité variable, tout cela chutant dans un ensemble aussi disparate qu’homogène. Car ces vermiculures ne sont que le produit du degré de flexion imposé au même petit trait blanc.
Ces Ecritures de Loïc Le Groumellec, si elles tranchent, par leur parti pris coloriste décidé ou subtil, avec son œuvre précédente, s’ancrent (elles s’encrent aussi, ces gouaches) dans ce gisement que l’artiste, religieusement opiniâtre, n’en finit pas de creuser : la terre bretonne qui lui fournit, par exemple, le modèle des incisions onduleuses du cairn de Gavrinis. Mais les volutes des arts aborigènes, mais les cernes où s’atteste l’âge des troncs, mais la réitération sourcilleuse de l’art brut : les incurvations et les lignes de Loïc Le Groumellec, tant elles suscitent de rapprochements, ne sont ni monomaniaques, ni monographes. L’économie des moyens n’est pas un assèchement ni la raréfaction de la stérilité : elle n’est que la « discipline secrète de notre art / Par où s’approfondit le clair regard du cœur » (traduction Jean Briat) pour invoquer un autre fervent des terres celtes, Yeats, louant en une poésie d’oraison les talents de peintre de feu Robert Gregory en matière de paysage.
Ce « clair regard », aiguisé à force de travail, voit ce que la terre a de vivant, décelant dans les gouaches le grouillement sinueux des formes de vie élémentaires. Quant aux extraordinaires sculptures, où de petites maisons, schématisées dans leur volume familier de boîte sommée d’une arête, sont appariées à des pierres comme des météores devenus pierres sacrées – leurs pierres ne sont-elles pas, dans leur beauté exquisément travaillée, et pourtant sans rien qui dénonce l’industrie, le produit manifeste de cette vitalité de la terre ? Car, notait Bernard Palissy, cité par Mircea Eliade (dont Loïc Le Groumellec, une écharpe d’un rose vif et malicieux autour du cou, me confie, le soir du vernissage, qu’il est un lecteur) : « Tout, ainsi que l’extérieur de de la terre, se travaille à enfanter quelque chose ; pareillement, le dedans et la matrice de la terre se travaille aussi à produire. »
Exposition Loïc Le Groumellec, Sculptures et gouaches, galerie Karsten Greve, jusqu’au 7 mai