Houston, au Texas. Trois figures qui essaient de se sauver du marasme. Un documentaire sur les oubliés du rêve américain. Superbe. En salles mercredi 27 avril.
Quelle est donc cette « chanson fantôme » à laquelle le titre du documentaire de Nicolas Peduzzi, Ghost Song, fait référence ? Chacune des trois figures inquiètes qui hantent le film et la ville de Houston donne une partie de la réponse, reprenant selon son tempo naturel la mélodie d’une symphonie maudite. Il y a la rappeuse Bloodbath – bain de sang, en version française – dont la prose paranoïaque célèbre en même temps qu’elle exècre la culture des gangs et la mort comme horizon permanent. Il y a Will, gosse de riche déshérité, dont la folk stridente tente de conjurer le brutal déclassement social. Il y a enfin Nate, peut-être le plus abîmé, celui à qui le rêve américain semblait le plus immédiat et le plus accessible, celui dont les paroles acides font le plus résonner l’écho furieux du regret et de l’injustice.
Par les circulations chaotiques et disjointes d’Alexandra (Bloodbath), Will et Nate à travers Houston, la caméra de Nicolas Peduzzi cartographie un littéral underground, un territoire sous-terrain éclairé par une multitude de néons, dont les couleurs pastel et délavées, comme tombées du ciel menaçant et mordoré, ont envahi les nuits des insomniaques, consumées dans les fumées toxiques de strip-clubs désaffectés. Au-delà du spectre visible, ces effluves laissent deviner les faubourgs d’une ville sans nom, cimetière des rêves de gloire et des carcasses de Cadillac.
Dans ce mauvais air loftcraftien, le film tourne ainsi comme au ralenti, décélérant jusqu’à atteindre sa vitesse de croisière, celle des paradis artificiels et chimiques d’une jeunesse en quête d’ataraxie, peu importe son origine : la weed et la lean – boisson violacée et codéinée – sont les matières premières du son made in Houston, la bien nommée musique screwed, dont l’engourdissement rythmique caresse avec douceur le rêve maladif de la fuite autant que l’impossibilité physique et matérielle de sa réalisation. Privés d’élévation sociale ou d’une éventuelle descente aux enfers, ces êtres sont vissés au trottoir, condamnés au surplace.
Malgré la déshérence et la désespérance, c’est bien le fantôme de la mystique capitaliste qui plane au-dessus de ces destinées contrariées, ce futur tant de fois promis qui ne sera finalement jamais advenu : la fortune, la famille, la foi, les trois valeurs cardinales d’un contrat social parjuré, forment encore le socle de croyances de nos protagonistes. Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre les supplications de Will, adressées aussi bien à la cité américaine, qu’il compare à Sodome et Gomorrhe, qu’aux éclairs aveuglants qui strient le ciel texan. C’est que l’ouragan en approche charrie avec lui son lot de récits eschatologiques, fortifiant la croyance d’un possible recommencement, d’un monde débarrassé des stupéfiants, du stupre, de la luxure – il vient l’orage de Dieu, par qui tous les péchés seront effacés…
Ghost Song de Nicolas Peduzzi, sortie le 27 avril, distribution Les alchimistes
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