C’est au tour de Pierre Buraglio de prendre ses quartiers chez Balzac. En hôte exemplaire, mais parfaitement à l’aise…
Pierre Buraglio, qui professe, dans le catalogue procuré par Dominique Aris, son « admiration » pour le maître des lieux, inscrit les quelques syllabes de titres à la résonance plus ou moins familière selon le degré de balzacophilie du visiteur : ici La Messe de l’athée, là Les Chouans. Les mots s’enlèvent sur ce qui constitue bien plus que les prestes indications d’une ébauche ou le crayonnage précipité, anxieux, de l’idée éclose : Buraglio laisse certes, observe Pierre Wat dans son éclairant article, les marques d’un esprit chercheur au travail, mais couleurs et lignes répondent toujours à l’ordonnancement d’une composition finie ou, à tout le moins, parvenue à un état de certitude tel que le sens plastique de l’artiste en autorise la publicité.
D’où l’impression qu’a le visiteur, en parcourant du regard ces images conçues comme des jaquettes. Une impression qui persiste devant ces pages d’agenda assombries par la nuée des caviardages où perce un « IPSO FACTO ». Une impression qui ne se dissipe toujours pas face à ces fusains d’après Rodin, où le romancier est saisi avec le mélange de vigueur, de rigueur et de souplesse qui convient à la stature et à la statue, tout en laissant deviner, dans le fouillis des lignes, la riche confusion de l’œil propre à l’organisation sensitive du regardeur. Cette impression tenace, c’est celle d’être admis dans l’intérieur de Buraglio, là où, paradoxe de l’hospitalité, s’expose l’intime : ces jaquettes, comme les reliures personnalisées dont un amateur de livres protégerait ses Balzac, l’aspect « non-fini » dénonçant l’intimité de la création, les pages volées au quotidien ou encore cet assortiment de cravates – la penderie dandy d’un Marsay marxiste (Buraglio rappelle, d’après Althusser, que Balzac « mène une critique matérialiste avant l’heure de la société capitaliste ») ?
Sans doute se sent-on moins visiteur qu’invité chez Buraglio puisque lui-même jouit du même statut chez Balzac – entendez : chez l’écrivain Balzac, et pas seulement rue Raynouard. L’artiste y insiste à plusieurs reprises : il ne s’agit pas, malgré l’identité tentante de l’initiale, de confondre les B, de dégager des concordances (même si le catalogue s’y emploie de façon convaincante). Le rapport n’est pas d’homologie mais d’hospitalité. Buraglio s’installe avec ses bagages – avec son bagage esthétique, (Courbet, Daumier, Géricault : l’expo est riche d’œuvres exécutées « d’après »), littéraire (outre Balzac, voici les noms de Bove ou de Freud). Il s’habille, se cravate – comme il sied à l’hôte de bonne compagnie tandis que le maître de céans, lui, reçoit dans sa robe de chambre (mais pas n’importe laquelle, une « Rodin » !). Il est comme chez lui : en témoigne par exemple ce Ma maison + Malevitch I, peint sur contreplaqué et accroché ici. Aussi l’exposition est-elle bien stricto sensu une lecture de H de B par PB puisque, notait Gracq, « la lecture d’un ouvrage littéraire (…), c’est aussi (…) l’accueil au lecteur de quelqu’un ».
Pierre Buraglio à l’épreuve de Balzac, Maison de Balzac, jusqu’au 4 septembre.
Catalogue Pierre Buraglio à l’épreuve de Balzac, sous la direction de Dominique Aris, Editions Paris Musées, 88 p., 13, 50€