Quentin Bruet-Ferréol avec Dieu est un voleur qui marche dans la nuit revient sur le suicide collectif de la secte Heaven’s Gate et sur la folie des utopies transhumanistes.
On n’échappe pas au spectacle de la mort. On n’échappe pas à l’odeur mélangée de vodka et de compote de pommes qui prend à la gorge lorsque l’auteur nous fait entrer dans cette luxueuse villa de Beverly Hills en compagnie de deux policiers effarés.
Une maison de l’horreur ou les corps sans vie de trente neuf individus sont recouverts d’un drap mauve avec un sac plastique autour de la tête et des baskets Nike neuves aux pieds.
Le roman commence ainsi par cette scène dantesque survenue le 26 mars 1997, à la fois terrifiante et touchante, si on considère sous cet aspect les coupes de cheveux à la Spock, ou coupe au bol des individus.
Ce roman, enquête approfondie sur la secte Heaven’s Gate, s’intéresse au cheminement initiatique du héros qui se laisse emporter dans cette aventure sur les routes américaines à la fin des années soixante-dix, sur la trace de deux gourous élusifs.
La première partie, en flash-back, nous introduit dans cette troupe de hippies migrateurs, de camping en camping, au cours d’un jeu de l’oie parsemé d’épreuves pour tenter de s’affranchir de son humanité, d’effacer sa sexualité et ses sentiments en vue d’un prochain départ vers les étoiles.
En ce sens, la secte, avec ses références à la Science-Fiction, son puritanisme fanatique et le recours aux expériences sociologiques extrêmes, est la première secte transhumaniste du XXe siècle, mais aussi, la première start-up (de l’espace) puisque les revenus de l’organisation venaient de la création des sites web, de ce qui allait devenir la Silicon Valley.
Le lecteur in fabula trouvera des analogies avec notre monde d’aujourd’hui. On ne peut qu’être interloqué par l’existence d’un djihadisme cosmique, l’espoir du Paradis non terrestre, le sacrifice ultime qui survient au cœur de la révolution technologique.
Comment une telle forme de catharisme extrême à l’ère des ovnis et des start-up est-elle possible ?
À la question de savoir si Elon Musk est un héritier d’Heaven’s Gate, Quentin Bruet-Ferréol relativise sans pour autant l’écarter : « Le point commun, dit-il, réside moins dans la destination que dans le départ. C’est une fuite hors de la matrice : Musk a déclaré qu’il y avait une seule chance sur des milliards que nous soyons « réels ». Les adeptes d’Heaven Gate croyaient eux aussi quitter un monde illusoire en débranchant leurs corps. Fuir sur Mars, quitter son enveloppe terrestre, tout cela semble avoir pour but d’échapper à une réalité perçue comme une simulation. Autrement dit : la pilule rouge ou la mort. »
L’auteur prend soin de ne pas porter de jugement moral tant la soif d’absolu des disciples apparaît admirable en dépit du ridicule des deux gourous aux idées de bric et de broc.
Il reste que ces jeunes gens, pour la plupart éduqués et intelligents, ont choisi volontairement de s’élever au-dessus de leur condition humaine tels des Malraux en route vers Sirius.
Cette fascination pour les dérives initiatiques depuis Vladimir Bartol dans Alamut (1938) et The Mind Game (1980) de Norman Spinrad, montrent que nous n’en avons pas fini de découvrir les insuffisances d’un monde qui n’offre plus ni alternatives, ni quêtes, ni espoirs, hors de ces étranges bandes errantes, ces illuminés qui se dirigent vers le bûcher en chantant.
Dieu est un voleur qui marche dans la nuit de Quentin Bruet-Ferréol, roman, Bouquins, 442 p., 20 €.