Violoniste solo de l’Ensemble Intercontemporain, Diego Tosi évoque la soirée Webern +, consacrée, par Manifeste, au compositeur le plus concis et le plus radical de la Seconde École de Vienne.

S’il interprète les grands concertos romantiques, Diego Tosi est surtout connu en France comme le violoniste solo de l’Ensemble Intercontemporain, fondé par Pierre Boulez. A Manifeste, le sémillant quadragénaire, sera l’un des interprètes de l’op.28 de Webern mais redonnera également Einspielung I, pièce ultravirtuose d’Emmanuel Nunes dans laquelle il dialogue avec l’ordinateur.  

Qu’est-ce qui vous a attiré dans la musique que certains s’entêtent encore à appeler « contemporaine », alors qu’elle procède d’une idée peut-être désuète selon laquelle la création artistique devrait épouser l’idéologie du progrès ? 

Je suis né dedans (rires). Dès trois ans, mon père, compositeur, m’emmenait écouter des concerts de musique électro-acoustique à la Villa Médicis dont il était pensionnaire. Cela ne m’a pas empêché de suivre le cursus classique : conservatoire de Paris, perfectionnement aux Etats-Unis. Il est vrai que certains compositeurs d’aujourd’hui réduisent parfois le violon à un instrument percussif mais d’autres proposent des sonorités inouïes et des modes de jeu inventifs et il serait dommage de s’en priver. Voilà pourquoi il faut continuer à soutenir la création contemporaine.

Qu’est-ce qui vous plait dans l’aride Quatuor à cordes op.28, de Webern, que vous allez interpréter…

Sa richesse (rires) : le premier mouvement en forme de choral, le deuxième tout en pizzicati, et le troisième en 3/8, avec une alternance de ritenuto et a tempo. Cette carrure de valse n’est pas forcément détectable par l‘auditeur, mais on la ressent bien dans l’écriture. S’il n’y a pas de difficulté notable dans les parties individuelles, la complexité de la gestion des voix, du rythme, de l’harmonie et de la circulation mélodique, apparaît quand on joue tous ensemble. Notre tâche étant de restituer tout cela avec une précision rythmique et une qualité de son aussi bonne que s’il s’agissait d’un quatuor de Schubert.

Comme disait Boulez : « sans le respect des accents et des valeurs, le feu sacré n’est qu’un cache-misère ! » A ce propos, que vous a-t-il apporté ?

Ah j’adore cette phrase, il faut la noter dans l’article. Pierre Boulez m’a tout apporté ! Les cinq années avec lui resteront comme les plus belles de ma vie. Il se comportait avec nous comme un père bienveillant et chaleureux. Grâce à lui, j’ai pu jouer sur les scènes les plus prestigieuses de la planète ; quand on a 25 ans, c’est époustouflant de vivre ça ! Jouer Anthèmes 2, en sa présence, faire une émission de radio avec lui, ça reste inoubliable.

Einspielung I, d’Emmanuel Nunes n’est pas moins redoutable qu’Anthèmes 2

Effectivement, la partition indique un tempo différent par mesure. Cela oblige à un travail de déchiffrage monstrueux et à travailler avec un métronome ; le résultat devant paraître, une fois de plus, fluide et assuré. Reste que la transformation électronique du son en temps réel donne une impression de souplesse accrue. Boulez était au premier rang lorsqu’on a créé cette pièce et l’a beaucoup aimée, notamment pour la partie électronique. J’ai travaillé pendant deux ans avec Nunes et notre complicité fut immédiate. Il avait composé une nouvelle pièce pour violon et clarinette intitulée Versus, que je devais créer, mais il est mort avant de finaliser la partie électronique.

Comment l’Ensemble Intercontemporain vit-il l’après-Boulez ?

Les concerts, naguère, se remplissaient sur son seul nom. Il nous faut désormais être plus inventifs, proposer de nouvelles collaborations multimédias, mettre en avant la technologie. Les jeunes musiciens, récemment intégrés, apportent leur façon différente de jouer, au niveau du son, de l’engagement, et forcément cela modifie les choses. 

Si vous ne pouviez plus interpréter qu’un seul concerto du répertoire… 

Un seul ? Mais c’est une torture ! 

Alors disons trois…

Un de Bach, bien sûr, celui de Tchaïkovski, et Mar’he, de Matthias Pintscher, que j’ai donné trois soirs à la magnifique Konzerthaus de Berlin. 

Webern + le 10 juin à 20h30. Amphithéâtre de la Cité de la Musique.

https://manifeste.ircam.fr