Superbe parcours musical offert jusqu’au 2 juillet aux Rencontres Musicales d’Evian, dans l’écrin de la Grange au Lac. Des Goldberg à Louis Vierne, plongée dans l’éclectisme d’une musique vivante.
Il faut parler du lieu avant toute chose. Car si les Rencontres musicales d’Evian sont uniques, c’est bien par La Grange au Lac, cette « datcha » somptueuse, immense cabane de bois conçue au milieu d’une forêt de mélèzes, devenue mythique pour les musiciens, et mélomanes, du monde entier. Sous l’impulsion d’Antoine Riboud, pensée par l’architecte Patrick Bouchain et Mstislav Rostropovitch, la Grange au lac a été conçue comme le ventre d’un violoncelle. On pénètre sous l’immense coque de cette salle de concerts dans une atmosphère solennelle, qui évite toute austérité grâce à la clarté du bois et au raffinement de l’architecture intérieure. Si le festival s’est ouvert le samedi 25 juin sur un concert majestueux du Sinfonia Grange au Lac, dirigé par Daniel Harding, il se décline en diverses voies, baroques, françaises, spectaculaires ou resserrées, invitant les plus grandes formations, comme l’orchestre national de Lyon, ou l’ONF, mais aussi, dans le sens originel des Rencontres, des formations de chambre, notamment les Arts Florissants qui ponctue le festival. Récit de deux jours à Evian.
Des Goldberg au free jazz
Une fois n’est pas coutume, c’est la musique contemporaine qui nous a accueillis, le lundi 27 juin, à la Grange. Jean Rondeau, claveciniste devenu à trente-deux ans incontournable dans son interprétation nerveuse et flamboyante des Variations Goldberg donnée le matin même, a offert sa création de compositeur à la Grange au Lac. Avec le percussionniste virtuose Tancrède D. Kummer, ils livrèrent à la salle leurs variations sur les variations, en partant des Goldberg pour dériver vers des lieux d’improvisation. Les accents de Monk, Jarrett ou Cecil Taylor ont été décelés, cette tendance free jazz alternant avec des moments de recueillement ou des voix de poètes, notamment les intonations rauques, inimitables d’Ezra Pound. Tout cela dans un dialogue très maîtrisé entre le piano de Rondeau et la batterie de Kummer. Il y avait une camaraderie évidente entre le jeune interprète baroque et le musicien jazz, donnant parfois au spectateur l’impression de surprendre ces deux jeunes musiciens au cœur d’un jeu musical, d’un « bœuf ». Si ce n’est le final, soudain très sophistiqué, qui plongea Jean Rondeau dans l’obscurité, seul au piano, dans une composition délicate, ligne claire retrouvée. Quittant ensuite la scène, la création s’acheva sur la musique de Bach, qu’un clavecin invisible faisait résonner dans le dépouillement de la Grange, si propice aux Goldberg.
Le lumineux Schütz
Le lendemain, c’est dans la ville d’Evian, à l’église Notre-Dame de l’Assomption, que les Arts Florissants nous conviait. Non pas sous la direction de William Christie, mais de Paul Agnew, ténor devenu en 2013 co-directeur du cultissime ensemble baroque.
C’était Henrich Schütz, compositeur allemand du XVIIe siècle, qui était à l’honneur. Ce compositeur à la réputation « si austère » nous a dit Paul Agnew avec facétie en ouverture du concert, s’est révélé un musicien formé à Venise, et inspirateur de la « joie » baroque. Les Arts Flo récemment nous avaient déjà assuré de la richesse de la musique de Schütz grâce aux Madrigaux qu’ils avaient donnés à la Philharmonie. Mais ce lundi, c’est un autre Schütz, celui des petits Motets, que nous avons découvert. Le compositeur s’y révèle en un sens plus moderne par cette musique d’une profondeur intacte, semblant sans cesse annoncer les cantates de Bach.
Pour interpréter cet Allemand italien, ainsi que quelques contemporains de la même veine transalpine, Paul Agnew s’est entouré de Virginie Thomas et Maud Gnidzaz, deux sopranos aux timbres différents, l’une cristalline, l’autre, robuste et pleine, qui purent faire vivre la richesse de cette palette baroque. Le public, ravi, se leva à la fin pour acclamer chanteurs et musiciens.
La surprise Vierne
Et dans cette même veine audacieuse qui guida le festival, la soirée du mardi 28 juin nous plongea notamment dans la musique française du XXe siècle, grâce à une succession de musiciens de tous âges et de toutes expériences, unis dans une même vigueur. De retour dans l’odeur de pin de la Grange, le concert de la « Belle Saison » s’est ouvert sur une interprétation à deux pianos, face à face physique et grandiose, entre Théo Fouchenneret et Eric le Sage, autour de Brahms et de sa sonate pour deux pianos en fa mineur. La prouesse des deux pianistes suspendit le public aux gestes des deux hommes. Théo Fouchenneret, que l’on retrouva ensuite dans la dernière partie du concert, demeura aussi calme et rentrée qu’Eric Le Sage semblait faire corps avec Brahms. Stupéfiant de saisir dans une même sonate, deux personnalités d’interprètes.
Ce concert a fait la part belle aux pianistes, permettant aussi, dans la deuxième partie, au jeune Sélim Mazari, de toucher un moment de grâce, aussi frénétique soit-il, dans son interprétation de la fameuse et délicate Toccata de Ravel.
Enfin, c’est la place accordée à l’oeuvre de Louis Vierne qui marqua ce spectacle : dans un quintette pour piano et cordes, le quatuor Elmire, et Michel Dalberto, ont pu prendre le temps de décliner les nuances du compositeur français, rarement joué avec une telle fougue.
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