Ça cogne, ça grommelle, ça grogne, ça éructe, ça invective, ça grimace, ça agace, ça irrite, ça ennuie : la sieste nous a sauvé d’un long cauchemar.
Ce cauchemar ? C’est le dernier Virginie Despentes, au titre fin : Cher connard. Virginie Despentes ne fait pas dans la dentelle : Hercule sort de nouveau sa massue. À quelle fin ? Produire un long discours de 352 pages. Un pensum. Despentes n’est pas Descartes. Certes, elle le déguise, ce discours, en roman, en personnages, en scènes. Elle est « romancière », c’est son fonds de commerce. Cicéron n’est pas sa came. Le fond de ce discours ? On l’attendait. Sans surprise, en bâillant. Le patriarcat, c’est mal ; le néoféminisme, c’est bien ; le libéralisme, c’est mal ; la drogue, c’est bien mais c’est mal ; vieillir, c’est pas cool ; le climat, c’est dur ; la bienveillance, c’est beurk ; et les cactus, ça pique.
Là où Flaubert épinglait les clichés, elle les enfile. Tous les key words à la mode sont présents dans le livre. Il ne s’agirait pas de fâcher les lecteurs ciblés : Despentes est directrice marketing et ne l’oublie jamais. Vive le capitalisme ! Oscar « check ses privilèges », « la honte doit changer de camp », « les relations sont toxiques », « les temps ont changé ». On a déjà lu ça quelque part, non ?
Despentes, c’est Sandrine Rousseau, Mathilde Panot, Alexis Corbière et Raquel Garrido réunis. La belle équipe. Le bel esprit de notre époque. Elle les a écoutés attentivement le soir à la télé, sur les chaînes d’info, a récupéré toutes leurs idées, et en a fait un livre.
Précisons la méthode : Despentes est un aspirateur. Elle récupère toutes les idées de notre époque, tendance gauchiste, les broie dans sa langue parlée, leur donne du rythme, du punch, les fait prononcer par trois pantins, une réalisatrice, Rebecca, double de l’auteur, Oscar, un pauvre type attaqué par Metoo qui fait son autocritique, et Zoé Katana, la jeune féministe vénère qui attaque Oscar. Et le tour est joué. Le tout en échange de mails, pour justifier facilement ce style relâché.
Continuons. La forme. Oui elle tente des choses, Despentes. Il y a longtemps, elle a lu des livres, elle garde le souvenir qu’elle y avait lu des métaphores, des comparaisons, des images etc. Florilège :
« Je n’avais pas repensé à elle depuis des années mais dès que j’ai lu son prénom c’est revenu comme si j’ouvrais un tiroir. » (les italiques sont de mon fait). Encore ? Ecoutez : « Le problème c’est ma plainte au milieu de centaines de milliers de plaintes (…) Ma voix est un flocon de neige dans l’avalanche qui vous engloutit ». Magnifique ! Une qui creuse en profondeur ? « Certains amours ressemblent à la drogue dure. Tu ne laisses pas tomber, même quand c’est devenu une démolition ». Mille ans de poésie pour arriver à une phrase pareille…c’est merveilleux.
Une dernière, mais là, accrochez-vous bien à votre Transfuge, c’est la cerise : « J’ai souvent coupé les ponts avec elle mais le lien entre nous est comme du lierre : tu peux l’arracher du mur, il repart. » Combien d’heures pour la trouver celle-là ? On adore.
Que trouve-t-on dans cet admirable livre, encore ? Des délires : « On supporte très bien que les femmes soient tuées par les hommes, au seul motif qu’elles sont des femmes. » On fait même la fête, pendant que tu y es ! Un grand méchoui. Virginie, ce n’est pas très sérieux de dire ce genre de choses. Pas plus que quand tu louais les frères Kouachi dans les Inrocks au moment de l’attentat de Charlie Hebdo.
On y trouve aussi des généralités, comme toujours chez elle. Allez, on y va, les hommes : « Vous ne tenez pas la route. Il faut tout le temps s’occuper de vous, vous rassurer, vous comprendre, vous assister, vous soigner. C’est trop d’entretien ». Despentes lit Psycho Mag, c’est sûr ; Rubrique témoignage de femmes.
La bourgeoisie ? : « La bourgeoisie, c’est le pouvoir de mettre entre parenthèses le monde. Les murs de la chambre à coucher de l’enfant bourgeois sont si épais que n’y pénètre pas la rumeur du monde. Ni ses miasmes. Ni le bruit des bombes. Les murs à coucher de l’enfant bourgeois sont si épais qu’il suffit que la maman chante la bonne berceuse et l’enfant est protégé du monde qui l’entoure. » Franchement, depuis le Capital de Marx, avait-on lu quelque chose d’aussi fort sur la bourgeoisie ?
Il y a Marx, mais il y a aussi Bossuet. C’est fou, cet éventail, Virginie : « désobéir finalement, c’est toujours décider d’obéir à autre chose qu’au pouvoir en place. Obéir à son instinct, ou obéir à la justice ou obéir à son désir. » Quelle puissance, en si peu de mots !
Soyons juste : il y a des choses qui m’ont plu dans ce livre : Despentes cite Rapattitude, Eric B. and Rakim, Public Enemy. Respect. De même, soyons lui reconnaissant pour quelques pages, où Despentes fait preuve d’indulgence envers les hommes. C’est rare, mais c’est présent. Ça lui arrache la gueule, mais elle concède.
Et il y a même des idées avec lesquelles je suis absolument d’accord avec elle : « la célébrité, ça rend con ». Oui, Virginie, ça rend con. Despentes, la Pascal Praud de gauche.
Édito général
Le festival Despentes