Munch au carré. Outre la grande expo d’Orsay, sort le livre de Knausgaard consacré au peintre. Discussion parisienne avec l’écrivain sur le peintre.
Si Knausgaard fait de la peinture de Munch l’objet d’un livre pénétrant, ce n’est pas pour substituer un cadre rigide de mots à ceux qui entourent les toiles. L’information est sûre, les enjeux théoriques, historiques, techniques ne sont pas éludés, mais Knausgaard cherche moins à circonscrire l’artiste qu’à ouvrir l’art de son compatriote en nous aidant à ouvrir les yeux. En nous aidant, en s’ouvrant à nous, à nous ouvrir, comme neufs, à cette peinture, comme Munch lui-même était ouvert au monde.
Il y a, dans les toiles de Munch, quelque chose de vivant, de vibrant, notez-vous dans votre livre… Une présence pour ainsi dire…
La présence, en art comme en littérature est essentielle. C’est une qualité extrêmement difficile à définir, car elle se communique intuitivement : quelque chose est présent avec vous, vous y êtes relié, et vous ne pouvez vous y relier que dans l’instant. À 19 ans, je crois, j’ai vu un tableau de Munch à Bergen. C’est un champ, en Allemagne, les couleurs sont mornes, il y a de la neige. J’ai éprouvé une émotion d’une grande intensité. Je n’avais pas les mots pour en parler, je n’avais pas l’habitude de regarder des œuvres d’art, je n’ai pas grandi en fréquentant les musées, on ne parlait pas d’art à la maison. Je ne savais pas ce que c’était, je savais seulement que ça m’avait fait une forte impression. Comment un tableau peut communiquer une émotion, c’est un mystère pour moi. Les meilleurs tableaux y parviennent, et Munch est un artiste incroyable quand il s’agit d’émotion.
Munch fait partie de ces peintres dont les tableaux ont été si reproduits qu’ils semblent parfois dépourvus de vie…
Le problème de Munch, pour moi, c’est que j’en ai tellement vu… je suis norvégien. C’est comme si je ne voyais plus, ne pouvais plus voir, Mélancolie ou Le Cri, mais un tableau un peu différent, on peut le voir…
C’est pourquoi, lorsque vous avez été commissaire d’une exposition sur le peintre, en 2017, au musée Munch d’Oslo, vous avez privilégié des œuvres qui sortent du canon ?
Oui, exactement. Mais le risque, dans ces choix, c’est que les œuvres ne soient peut-être pas si bonnes que ça. La question de la qualité des œuvres me tourmentait lorsque je préparais l’exposition… Mais en revoyant l’exposition, lorsqu’elle a été montrée deux ans plus tard à Düsseldorf, je l’ai trouvée vraiment bien, c’était vraiment vivant.
Une vie qui tient sans doute à cette qualité que vous soulignez chez le peintre, cette ouverture au monde dont Munch faisait preuve…
Munch devait avoir une sensibilité extraordinaire. Dans son premier tableau vraiment important, L’Enfant malade, il n’avait pas de méthode, pas de voie à suivre, mais il savait ce qu’il voulait. Ce fut un petit scandale, les spectateurs se sont moqués de la toile lorsqu’elle a été exposée, ils la trouvaient mauvaise, inachevée, brutale, laide. Mais ce qu’il cherchait est visible : la sincérité envers ses propres émotions. Et je crois que c’est une attitude qui exige une forme d’ouverture, d’ouverture vers l’intérieur.
Tant de désir pour si peu d’espace. L’art d’Edvard Munch, traduit du norvégien par Hélène Hervieu, Denoël, 272 p., 23€
expo Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort, musée d’Orsay, jusqu’au 22 janvier 2023.
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