Rencontre avec le programmateur Franck Lubet autour de l’alléchant cycle « Spanish noir » à voir à la cinémathéque de Toulouse du 6 au 16 octobre. Dans le cadre du festival de cinéma Espana.
Avec ce cycle « Spanish noir » vous proposez une traversée dans le film noir espagnol des années 1950 à 2021, plus méconnu que le film noir américain, le polar français ou italien…
Le « Spanish noir », comme le nomme les Espagnols eux-mêmes, est un digne descendant de la série B musclée à l’américaine. C’est vrai qu’on connaît mieux sa vague récente de Néo-noir des années 2010, qui se démarque nettement de la movida. Associés à Cinespaña, avec Loïc Diaz et Alba Paz, nous proposons de revenir aux origines du genre, à ses ramifications avec la période franquiste. On aurait pu remonter plus loin, mais les racines du genre c’est les années 50.
Pouvez-vous nous dire quelques mots de son orientation vers le réalisme social ?
C’est un cinéma tourné en décors naturels, directement dans la rue, avec un aspect très réaliste. Pour vous donner une idée, on est assez proche des polars secs de la Warner des années 30. En pleine explosion néo-réaliste en Italie, ce cinéma espagnol propose une nouvelle offre.
Comment le franquisme a marqué le genre ? Et après la mort de Franco, comment évolue-t-il ?
Ce qui est excitant c’est ce regard historique, puisque ces films étaient soumis à la censure, ils devaient avoir l’aval des services de police. On y suit des policiers et on est toujours de leur côté. Des cartons moralistes mettent le spectateur en garde contre la délinquance et louent les policiers, à la manière des films de gangsters américains. On se retrouve dans des lieux interlopes où règne la misère, on assiste à la montée de la violence. Ce qui est paradoxal c’est que la censure franquiste permet de montrer justement tous ceux qui sont d’habitude invisibles dans le cinéma espagnol : les gangsters, les prostituées, les marginaux. Dans Brigada criminal de Iquino (1950), on suit une unité de police, ses méthodes, sous l’œil de Franco. Puis tout change, les années 80 annoncent la transition démocratique, même si elle ne se fait pas du jour au lendemain. La série de films El Crack (1980) est emblématique de cette période. Le régime fasciste est tombé et le « Spanish noir » nous offre un tout autre regard sur les forces de police : la torture, la corruption, en fait l’envers de ces policiers précédemment idéalisés.
Une rencontre autour de Rodrigo Sorogoyen, figure emblématique de ce cinéma, est prévue, que diriez-vous de son apport et de ses traits de mise en scène ?
Son cinéma est très documenté, très sociétal. Son dernier film, As bestas (2022) se structure comme un western. On est sous tension jusqu’au dernier plan. Ce qui est génial chez lui c’est sa maîtrise de la mise en scène avec un tempo juste et son art du plan-séquence. Il y introduit toujours un point de bascule, comme lors de cette discussion dans un bar dans As Bestas. Un très long plan fixe suffit pour ébranler le spectateur dans ses certitudes. Il avait déjà fait ça avec Madre (2020). C’est un des plus grands cinéastes contemporains.
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