Racontant une famille recomposée d’escrocs sympathiques, Louis Garrel signe une comédie policière et romantique enlevée.
Une comédie drôle, intelligente, sophistiquée, recelant néanmoins un potentiel populaire, ce n’est pas si fréquent dans le cinéma français. On prend. Louis Garrel et son coscénariste Tanguy Viel ont imaginé une famille recomposée assez sympathique : Sylvie (Anouk Grinberg) épouse Michel (Roschdy Zem), séduisant braqueur rencontré en prison. Cela ne plait pas au fils de Sylvie, Abel (Louis Garrel, l’innocent du titre) qui en a marre que sa mère se lie tous les trois ans avec des repris de justice. Il confie son désarroi à Clémence (Noémie Merlant), sa meilleure amie. La première rencontre entre le fils et le nouveau beau-père est froide, mais comme dans toute bonne comédie, les êtres a priori mal assortis vont finalement s’entendre. Michel va monter un coup avec Abel à l’insu de Sylvie : voler le chargement de caviar d’un camion.
Toute la finesse et la vis comica du film reposent sur le décalage entre le sérieux fondamental d’Abel et la rouerie charmeuse de Michel, reliés entre eux par la fantaisie perchée de Sylvie. Le charme et le rire redoublent quand Clémence passe d’un rôle secondaire dans le braquage à celle qui a le plus d’audace, de courage et de présence d’esprit au moment d’entrer en action. Lors de la préparation du coup, Abel et Clémence doivent répéter une scène de ménage sous la direction de Michel, metteur en scène improvisé et inspiré (il a pris des cours de comédie en prison) : le but, se faire passer pour un couple en rupture dans le restaurant où dîne le chauffeur du camion et détourner ainsi son attention au moment où l’on s’empare de son chargement. Savoureuse mise en abyme des métiers du cinéma qui rappelle l’idée de Godard : tourner un film est commettre un braquage, c’est la même chose. Lorsque Abel et Clémence devront vraiment jouer la scène le moment venu, on ne saura plus trop s’ils jouent une fausse brouille ou une véritable déclaration d’amour : le simulacre accouche d’une vérité. Tout le film tourne avec vivacité autour des frontières poreuses entre l’honnêteté et la filouterie, la légèreté et la gravité, le sérieux et le ludique, le jeu et le vrai, la comédie et le polar, le film d’action et la comédie romantique. Si le mélange des genres est aussi réussi, ce film le doit aussi à son formidable casting. Anouk Grinberg est une actrice extraordinaire qu’on est vraiment heureux de revoir (après Tromperie et La Nuit du 12), Roschdy Zem avec sa moustache rétro est digne de Gabin ou Ventura, une touche d’ironie en plus, Noémie Merlant prouve qu’elle est aussi bonne dans la comédie que dans les rôles dramatiques qui lui étaient jusqu’à présent dévolus, alors que Louis Garrel brille dans un registre à la Buster Keaton : plus il est sérieux, plus il est drôle. Pour ce qui est de sa casquette de réalisateur, L’Innocent est à coup sûr son film le plus accompli à ce jour.
L’Innocent, Louis Garrel. Avec lui-même, Anouk Grinberg, Roschdy Zem, Noémie Merlant, Ad Vitam, sortie le 12 octobre
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