Seize virtuoses partagent le triomphe de danser envers et contre tout, quand José Montalvo orchestre une cérémonie libératoire et revendicative. Et si la joie était plus profonde que la tristesse ?
Elle a beau être la plus ancienne expression artistique de l’humanité, la danse ne va jamais de soi. Tant de choses peuvent l’empêcher, si bien (ou mal) que la création d’une revue collective sonne parfois comme un triomphe. Gloria ressemble à une telle éruption. À l’époque de la création, le confinement empêchait tous les artistes de se réunir et de rencontrer leur public. C’est ce qui a inspiré une pièce sur tous les obstacles qu’il faut affronter avant de faire de la danse son métier. Car l’impossibilité de danser en rond n’est pas tombée du ciel avec les gestes barrières. En témoignent les interprètes de cette fresque foisonnante quand, portés par des rythmes balkaniques ou africains, ils s’adressent au public avec verve, fougue et joie pour témoigner que leurs barrières personnelles ont cédé face à leur passion.
Il y a celui qui, vêtu d’une robe jaune, relate le conflit avec son père : « Tu veux être danseur ? Tu feras l’armée ! » Un classique, même si celui-là ne voulait pas faire de ballet, contrairement à la jeune Bretonne qui voulait devenir ballerine dans les écoles de danse parisiennes. « Retourne chez toi peindre les bateaux », lui disait-on. Traumatisme surmonté, également chez la bailaora andalouse jugée trop mince (!) pour le flamenco. Sa parade : « Maintenant je danse comme un garçon. » Rejet tout aussi stupéfiant pour celui qui, à trente ans, s’entendit dire qu’il était trop vieux pour se mettre au hip hop. Belle persévérance ensuite chez le virtuose qui souffrait d’un handicap physique lui interdisant toute pratique sportive – selon son médecin. Qu’il est rare de se réjouir d’une erreur médicale ! Autre reconstruction réussie : la Japonaise Chika Nakayama qui personnifie toutes celles qui, dans le monde du ballet, subissent le regard impitoyable sur leurs corps. Aujourd’hui elle ne craint plus de dire sur scène à quel point elle se privait de nourriture, jusqu’à ne plus avoir de règles.
Et pourtant on cherchera en vain chez Montalvo la moindre note larmoyante. L’ironie jubilatoire lui convient bien mieux. « Tout est foutu, soyons joyeux » ou « rassurons-nous, tout va mal » sont les devises qui chapotent Gloria. La joie de danser ensemble est le supercarburant de cette nouvelle revue montalvienne qui, par ses adresses au public, reflète le désir de briser l’isolement subi suite aux mesures sanitaires. Aussi filles et garçons, finalement réunis, évacuent les démons du passé par des cris libératoires et ouvrent la voie à un message universel : Il est possible de réaliser un rêve ! Quand ils se lancent dans des zapateado collectifs, accompagnés live au djembé, leurs unissons foisonnants sont d’une virtuosité contagieuse, jusqu’à ce que sabar sénégalais, flamenco, hip hop etc. se mêlent dans une danse universelle. Les histoires des seize Gloria ont inspiré à Montalvo une pièce à la fois revendicative, fulgurante et rafraîchissante, faisant vivre une autre de ses devises, mise à contribution dans Carmen(s), sa création précédente : « La joie est plus profonde que la tristesse » !
Gloria de José Montalvo. La Villette, espace chapiteaux, programmation du Théâtre de la Ville. Du 18 au 22 octobre
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