Dans La Religion woke, Jean-François Braunstein mène la critique savante et argumentée de l’idéologie montante du moment.
Dans le mouvement des idées, il est salutaire de déconstruire les vieux schémas. Mais il est parfois tout aussi fécond de déconstruire les déconstructeurs, surtout si la critique de la critique s’opère de façon non polémique, avec érudition et argumentation élaborée. C’est ce que fait le professeur de philosophie Jean-François Braunstein dans La Religion woke, déconstruction solide de la doxa du moment. L’auteur ne prône absolument pas le retour aux valeurs conservatrices mais constate que les Lumières, l’universalisme et la raison sont menacés. Car selon Braunstein, l’idéologie woke n’est pas une pensée rationnelle mais une religion, une croyance qui quand elle devient absolue peut s’avérer aussi dangereuse que n’importe quel fondamentalisme. Il commence par faire un sort à l’idée que le woke serait l’enfant des penseurs français des années soixante-dix (Foucaut, Lyotard, Derrida…). Entre plusieurs arguments solidement développés, celui-ci : le woke est ultra-identitaire alors que les penseurs français ne l’étaient pas du tout. Braunstein voit plutôt le woke comme un rejeton du protestantisme américain auquel il emprunte le sectarisme (la cancel culture, le concept d’appropriation culturelle…), le prosélytisme, le goût des rites (les happenings où l’on répète en chœur des commandements antiracistes…), les textes et figures sacrés (Judith Butler, Di Angelo, Paul B Preciado…)… Une religion qui nie la réalité à travers notamment la théorie du genre. Braunstein n’est pas Zemmour et ne croit évidemment pas à un essentialisme du masculin et du féminin mais s’effare du présupposé inverse : la négation absolue du corps et de la réalité biologique. Depuis Judith Butler, seule compte la conscience performative : si un homme décide qu’il est une femme, il l’est, même s’il n’a pas changé de sexe. Autre problème du wokisme, son esprit de système. Dans le monde woke, les Blancs seraient racistes par essence, seuls les Noirs auraient une légitimité pour parler de racisme (tous les artistes blancs qui traitent ce sujet sont vilipendés…), etc. Dans cette réduction à un groupe identitaire défini selon un seul critère (le genre, la couleur de peau…), chacun est catalogué et jugé pour ce qu’il est de naissance (et qu’il n’a pas choisi) et non pour ses idées, ses actes, sa complexité. Dans cette attaque en règle contre la singularité individuelle, l’universalisme et les Lumières, la science n’est pas épargnée : le wokisme remet en cause les maths ou la biologie qui seraient au service du patriarcat et du virilisme !
Quand on s’inquiète, les wokistes disent que le vrai danger, c’est l’extrême-droite. Il est vrai que cette dernière est souvent au pouvoir ou toute proche alors qu’on ne connaît pas de gouvernement woke. Mais le wokisme est en train de gagner la bataille dans les champs de l’éducation et de la culture… Et il fait partout grimper l’extrême-droite en explosant la gauche, comme le prouve Sandrine Rousseau. Outre que la pensée woke entend remplacer la domination majoritaire par le diktat des minorités, elle n’est pas un rempart contre le fascisme montant mais une partie du problème. Pris en tenaille entre l’extrême-droite et la gauche woke (les deux pôles opposés d’une même planète identitaire), la démocratie, l’universalisme, la nuance et tous les acquis positifs de notre modèle sont clairement en danger.
La Religion woke de Jean-François Braunstein, 280 p, 20,90 €, Grasset