L’incontournable Tiago Rodrigues remonte avec une autre distribution, sa toute première pièce, Le Chœur des amants, ou le rêve de l’éternité pour un couple.
Sur un plateau dépouillé, où seules deux chaises et une table, symbolisent le foyer, la maison, le lieu de vie, un homme, une femme se tiennent côte à côte, serrés. Ils semblent fusionner l’un avec l’autre, ne faire qu’un. Leur parole est une. Tel un chœur, d’une seule et même voix, ils entonnent le récit de leur histoire, de leur couple, tout en fusion, en émotion. Un soir comme un autre, alors qu’ils regardent Scarface de Brian de Palma, hypnotisés par le jeu d’Al Pacino, un drame insidieux s’insinue dans leur quotidien. Comme oppressée, elle n’arrive plus à respirer. La vie semble s’échapper de son corps. Ne pas hésiter, ne plus réfléchir, prendre la voiture, aller aux urgences, rouler à tombeau ouvert, ne pas s’arrêter. Le débit de parole s’accélère. Les mots de l’un, de l’autre se chevauchent. La mort est là, tapie dans l’ombre, presque palpable. Le temps ralentit. Enfin à l’hôpital, les médecins s’agitent. C’était moins une. Plus rien ne sera pareil. Au creux du ventre chaud de leur passion, la peur de perdre l’autre s’inscrit comme une obsession sourde, qui va régler à jamais leur existence.
Se glissant dans la peau de ces deux amants, David Geselson, en alternance avec Grégoire Monsaingeon, et Alma Palacios, donnent corps viscéralement aux mots, à la prose poétique, vibrante de Tiago Rodrigues. S’intéressant au rien, faisant théâtre des aléas de la vie, des bonheurs fugaces, des joies éphémères et des petits tracas, le tout nouveau directeur du Festival d’Avignon, sublime chaque minute, chaque seconde du quotidien somme toute très banal de ce couple fusionnel. Leur pavillon de banlieue, bien qu’étriqué, devient un cocon de vie où peut s’épanouir leur amour trop grand. Ils font du théâtre, se passionnent pour les livres, ont une charmante enfant, qui a bien du mal à trouver sa place dans l’exclusivité de leur relation. La maladie rôde toujours, la peur de l’asphyxie pour elle, le cancer pour lui. Mais tant bien que mal, malgré l’ombre de l’ennui, de la lassitude, la flamme, dont l’intensité vacille parfois, brûle toujours, chaque fois plus incandescente qu’avant. Ensemble, ils se battent, trompent l’inévitable fatalité. Leur amour est plus fort que tout, la faucheuse en aura pour ses frais.
En mettant au présent sa toute première pièce écrite en 2007, Tiago Rodrigues questionne le monde qui nous entoure, fait écho à l’actualité. Enrichi des drames d’hier, d’aujourd’hui et de demain, de l’emballement climatique, de la crise sanitaire et des confinements, il conte de sa plume fluide, concise, l’inexorable fuite du temps. S’appuyant sur le jeu virtuose, saisissant de ses deux comédiens, il signe une mise en scène précise, fulgurante, une fable humaine qui laisse à voir un peu de lui-même, de sa noblesse d’âme. Mise en abyme du théâtre, de l’amour véritable, de la croyance en un au-delà possible pour les cœurs purs, Le chœur de ces amants n’est pas près d’arrêter de battre. Une belle promesse pour des lendemains heureux !
Le Chœur des amants, Tiago Rodrigues, les 22 et 23 novembre à la Maison de la culture d’Amiens puis au Théâtre d’Angoulême et à la Comédie de Reims