Dieudonné Niangouna signe Portrait désir. Une fresque mystique sur de grandes figures mythiques africaines, inspirée des contes de sa grand-mère.
Pourquoi rendre hommage à votre grand-mère conteuse à travers cette création ?
Justement parce qu’elle était conteuse et guérisseuse. C’est aussi lié à mon art puisque je suis comédien. Les formes de contes qu’elle utilisait sont des formes de théâtralité de la cosmogonie Kongo, qu’elle m’a transmise par des choses qu’elle m’a dites et que j’ai observées, les étés, en allant la voir au village. C’était l’une des dernières femmes à appliquer ces théâtres de guérison, où l’on soigne autant par les plantes que par les mots. Je ne fais pas son rituel, mais j’ai gardé le fait de raconter des histoires, de les jouer. Tendre un miroir me semble un geste intéressant : faire mon théâtre avec ses principes de guérison, tenter une osmose.
Pourquoi lui rendre hommage seulement aujourd’hui ?
Il fallait attendre la maturité du geste. J’ai commencé la mise en scène professionnelle en 1997. Il y a eu les Francophonies, puis Avignon, etc. Il me fallait des bases solides et une audience. Que les spectateurs aient vu Shédaà la Carrière de Boulbon, Nkenguegi au Festival d’automne, etc. Quelque chose se tisse, on commence à voir la déclinaison de ma poétique. La seconde raison c’est que ma première fille a 17 ans. Je dois lui transmettre ce que j’ai pris chez ma grand-mère. Enfin, suite à ma lettre ouverte contre la réforme de la Constitution au Congo, en 2015, j’y suis interdit de séjour. Depuis mon cœur saigne. C’est donc aussi une manière de me remémorer et de restituer ce Congo qui m’habite même si je ne peux plus y habiter. L’art, la spiritualité, c’est ce qu’il m’en reste. Le théâtre contemporain dialoguera avec celui de ma grand-mère, par ce dialogue entre une grand-mère et son petit-fils et par les autres personnages, vivants et morts.
Pourquoi justement instaurer ce dialogue entre les vivants et les morts ?
Il y a un adage dans la cosmogonie Kongo qui dit « on ne meurt pas, on part simplement ». On change d’état, les morts deviennent des esprits. L’éternité existe pour tous. Donc on peut dialoguer avec les morts quand on a un problème. C’est comme quand je dis que je vais parler à Shakespeare et que je m’inspire ensuite de ses mots et de ses réflexions. Le corps physique disparaît mais la personne est éternelle tant qu’on n’oublie pas ni ses œuvres ni son existence.
A quoi renvoie Portrait désir ?
D’abord au portrait de ma grand-mère. Le personnage qui l’incarne parle de son désir de guérir et de soigner la société par la culture et la médecine. Ce « désir », c’était son combat. Elle disait qu’il était le moteur même de la guérison. Rapidement, on bascule dans le monde d’aujourd’hui au Senza Blues. Un club de jazz où je vais souvent, avec des plasticiens, des musiciens. Je joue mon rôle de Dieudonné, sous le rôle de Shidoni comme m’appelait ma grand-mère. D’autres personnages surgissent et convoquent leurs « grand-mères » non biologiques. Des figures historiques et mythologiques : la Reine Pokou qui a sacrifié son enfant unique pour sauver son peuple et créer la Côte d’Ivoire, Kimpa la Jeanne d’Arc africaine, Harriett Tubman, la Moïse noire, Médée et Cassandre. Cinq femmes visionnaires, engagées qui enseignent des voies de liberté, d’émancipation tout en étant des guérisseuses pour l’Humanité.
Vous vouliez rendre hommage aux femmes ?
Je me méfie de cette formule car je ne veux pas tomber dans une espèce de soupe très à la mode ! Je suis un homme. Mais ce que je fais, je l’ai reçu d’une femme dans une situation complexe et un monde machiste. Ma félicité, je la lui dois en grande partie. Et rendre hommage à ma grand-mère permet de rendre hommage à d’autres femmes sur différents continents.
Portrait désir, de Dieudonné Niangounia, à la MC93 de Bobigny, programmation du Théâtre National de la Colline, jusqu’au 10 décembre.