Où l’on prend la température de la fièvre romantique à la faveur d’une très belle expo sur le peintre Louis Boulanger.
Sa place, au regard des faits positifs de l’histoire des arts, devrait être éminente dans la geste de la naissance, des avancées esthétiques, des conquêtes sur l’esprit du temps que fut le romantisme. Mais Louis Boulanger (1806-1867) n’aura eu que les cendres attiédies, froides même, d’une postérité qui n’a pas su, pu ou voulu percevoir l’éclat d’un homme qui a littéralement brillé de mille feux, heureusement doué en tout ce qu’il entreprenait.
On le trouve associé aux frères Devéria, et, au logis de ceux-ci, 45, rue Notre-Dame-des-Champs, indissociable de cette autre fraternité de sensibilité et d’ardeur novatrice que partageaient les hôtes réguliers du lieu, dont le voisin Hugo (au 11 de la même rue, Sainte-Beuve étant au 19) ne fut pas le moindre, et où s’élaboraient, au milieu des années 1820, les formules et les lois inédites d’un art nouveau, qu’impatientaient les vieilles divisions entre les genres et les pratiques. Louis Boulanger, Eugène Devéria, Hugo, rappelle Olivia Voisin, commissaire scientifique de cette riche exposition, (sûreté de l’information, foisonnement des témoignages visuels et, ce qui est plus rare, sentiment presque intime de l’homme et de l’œuvre) furent en 1827, les instituteurs d’une ère nouvelle. Boulanger, par la suite et jusqu’à la fin, ne cessera d’allumer et de rallumer la flamme romantique à tous les flambeaux : peinture, lithographies (dans lesquelles il lui vient les locutions et les tours de la langue naturelle du cauchemar, celle d’un Goya), merveilleuses maquettes de costumes pour le théâtre, séjour en Espagne, Balzac (pour l’expression physionomique, l’exploitation heureuse d’une palette réduite, le portrait de 1836 de l’écrivain est un de ses plus beaux morceaux), Dumas, Hugo (quel bonheur, quelle aisance heureuse, quelle volupté de peindre se dégagent du jeu des étoffes dans l’aquarelle illustrant Notre-Dame de Paris, La Esmeralda chez madame de Gondelaurier, vers 1831)…
L’étroite conformité d’esprit, d’intentions et d’idéaux qui unissait Hugo et Boulanger est devenue dans l’opinion, selon la logique de l’exagération des proportions respective, une sujétion du second au premier. Mais il n’y a rien d’une soumission éteinte chez le peintre. Considérez la verve turbulente comme le spectacle d’un brasier, du Feu du ciel, à l’arrangement pourtant savamment ordonné par ce qu’on devine être une improvisation réglée de l’esprit, analogue sans doute à la discipline native et paradoxale qui donnait rythme, charpente et substance aux imaginations de Hugo, dont Les Orientales ont été, plus que le modèle, l’étincelle et le combustible de ce grand tableau de 1829. Consultez Léopoldine à quatre ans (1827), chef-d’œuvre d’éloquence du modelé des traits ou L’Assassinat de Louis d’Orléans par le duc de Bourgogne, rue Barbette (1407), peint vers 1832-1833, et les accidents lumineux si bien disposés pour faire de la composition un drame, voyez tout cela et dites-moi si, chez ce grand amateur de Rubens, un beau feu ne couve toujours pas ?
Expo Louis Boulanger. Peintre rêveur, Maison de Victor Hugo, jusqu’au 5 mars.
Catalogue Louis Boulanger. Peintre rêveur, Paris Musées, 168 p., 29,90€