La réalisatrice française d’origine libanaise Danielle Arbid est l’invitée d’honneur du Festival Hors-Pistes qui présente des documentaires, des œuvres plastiques, des spectacles et des installations consacrés aux thèmes de la guerre et de la paix.
Le sous-titre de cette nouvelle édition de Hors-Pistes s’intitule : Voir la guerre et faire la paix. Qu’est-ce qu’il vous inspire ?
Je suis flattée d’avoir été invitée à travailler avec l’équipe du Centre Pompidou qui reprogramme mes documentaires qui sont plus difficiles à voir que mes récentes fictions. En même temps, je suis toujours un peu triste d’être associée à ces thèmes-là. J’ai été très touchée par la guerre que j’ai vécue jusqu’à ce que j’arrive à Paris à 17 ans. À travers ces documentaires autobiographiques, j’ai voulu interroger ce qui reste en nous de cette terrible expérience et la manière d’affronter ses souvenirs afin de se reconstruire.
Cette programmation a-t-elle été pensée en raison du récent conflit ukrainien ?
Oui, c’est ce que j’ai écrit dans mon petit texte introductif. Pour moi, la guerre demeure un traumatisme, une cassure. Cette guerre en Ukraine se rapproche de nous alors que nous pensions vivre à l’abri en Occident. Si je suis venue m’installer ici, c’était pour ne pas avoir à revivre l’insécurité que j’avais connue et soudain, je me retrouve confrontée à mes traumatismes préhistoriques comme si la paix n’était jamais un dû.
Vous avez d’abord réalisé un court métrage de fiction. Pourquoi avoir ensuite choisi le documentaire pour filmer le Moyen-Orient ?
J’ai d’abord étudié le journalisme. En retournant au Moyen- Orient, j’ai voulu inverser tous les modèles d’objectivité journalistique où l’on nous avait enseigné que nous devions nous effacer. Je me suis mise en scène afin de trouver des éléments de réponses à ces questions lancinantes : est-ce que moi aussi j’aurais pu tuer ? Comment devient-on un tueur ? Comment les barrières morales tombent-elles ?
C’est le sujet d’Un Tueur, votre nouveau film que vous présentez pour la première fois ?
Effectivement, j’ai rencontré un ex milicien avec qui je me suis entretenue pendant des dizaines d’heures. J’ai toujours voulu montrer ces rushs. Voyez-vous, je ne peux pas faire un film sur quelqu’un sans éprouver un minimum d’empathie pour lui. C’est ce qui s’est passé et j’ai pu aller au bout pour raconter sa descente aux enfers, semblable à celle des personnages qu’ont filmé Cimino ou Coppola. Inversement, j’avais refusé de faire un film sur l’un des massacreurs de Sabra et Chatila alors qu’il avait accepté de me parler à visage découvert.
Pourquoi avez-vous souhaité inviter Jonathan Littell et Antoine d’Agata ?
Ils ont été en Ukraine. Mais comme moi, ce ne sont pas des reporters de guerre. Ils ont une manière de regarder le conflit qui se rapproche de la mienne. J’ai beau avoir reçu le Prix Albert Londres, les reporters documentent au front alors que moi, j’ai voulu me mettre en danger afin de m’interroger philosophiquement sur jusqu’où où je pouvais aller.
Vous dites avoir voulu essayer de vous réconcilier avec votre passé. Peut-on parler d’une démarche résiliente ?
Je n’aime pas ce terme car on ne guérit jamais. Les Libanais n’aiment pas la résilience car ils sont toujours foudroyés par quelque chose de nouveau : une crise économique, une guerre… Ils ont beau se relever, ils finissent par en avoir marre de devoir toujours se relever.
Festival Hors-Pistes, Centre Pompidou. Du 19 janvier au 19 février