Il y a tout chez Grau-Garriga, la puissance, l’expression, la couleur, la liberté. L’artiste a renouvelé l’art textile comme personne. Un très grand, à voir chez Nathalie Obadia.
Josep Grau-Garriga est d’abord un peintre et cela se sent. Fresquiste à ses débuts pour les murs blancs des églises catalanes, il aime la fraîcheur poreuse de la matière et cette faculté étonnante qu’a la couleur de surgir de l’obscurité. Dans ses tapisseries aux hauts-reliefs écorchés, le geste est celui d’un artiste avide d’expression et de tridimensionnalité. Il y met tout son cœur, ainsi que son engagement pour la résistance à l’obscurantisme. Fils d’un paysan catalan forgé aux idées républicaines, le jeune Grau-Garriga a sept ans lorsque Franco arrive au pouvoir. Il ne cessera de prendre le parti de la liberté, sentiment à fleur de peau dont transpirent ses immenses tapisseries pareilles à des paysages d’où semblent sortir l’humus des sillons ruraux de son enfance mais aussi le drame des destinées humaines ou le réveil de l’identité catalane. En témoigne Com Bandera (Comme Drapeau) de 1974 : d’aspect déchiqueté, le symbole survit malgré tout dans les jaunes et les orange flamboyants. Formé à l’académie des beaux-arts de San Jordi, le jeune homme prend rapidement la tête de l’atelier de tapisserie de son village natal de Sant Cujat del Vallès dans les années 50, dont il fait un lieu d’expérimentation unique pour l’art textile. Y passent Picasso, Tàpies, Miró, rencontrés à Paris alors qu’il était venu apprendre le métier auprès du licier Jean Lurçat. Ce dernier lui enseigna une tapisserie à l’âme vivante, douée d’innovations, au-delà du simple objet décoratif. Leçon qu’il s’empressera de transcender, abandonnant la traditionnelle haute-lisse des Gobelins afin d’explorer la matière, dans ses moindres ressorts, y noyant la peinture et des matériaux hétéroclites. Jute, coton, chanvre et vieux vêtements s’accrochant aux fils de fer, cordelettes de plastique et autres objets de consommation. Fasciné par le pop art et l’abstraction américaine, Grau-Garriga est aussi le contemporain de l’Art informel d’un Fautrier et de l’Art brut d’un Dubuffet. Pulsations de l’époque qu’il retranscrit dans ses morceaux de tapisserie où gicla d’abord la violence de la guerre avant de s’illuminer de la lumière de la Loire, havre paisible qu’il choisit au tournant des années 2000, jusqu’à sa mort en 2011. Récemment, les magnifiques œuvres textiles de sa contemporaine Sheila Hicks ont bénéficié d’une large visibilité (Centre Pompidou, Biennale de Venise…), portées notamment par l’attention aux savoir-faire traditionnels – dont l’écoféminisme en a fait une de ses doxas dans l’art contemporain – et la reconnaissance des femmes artistes, la réappropriation des techniques textiles étant désormais souvent observée par le prisme de l’émancipation de la condition des femmes. Cependant, n’oublions pas de regarder de près Grau-Garriga, pionnier du genre : « En lui s’est confirmé un projet dont il poursuivait peu à peu la réalisation, et qui consistait à démythifier la haute valeur traditionnelle accordée à l’art du tissage afin de faire de celui-ci un acte, non plus de soumission à des principes et des règles établis mais un acte de liberté créatrice et expressive » écrit si justement son ami et biographe Puig Arnau.
Josep Grau-Garriga. L’expérience imaginée. Jusqu’au 15 avril.
Galerie Nathalie Obadia. www.nathalieobadia.com