Merveilleux spectacle mêlant Stravinski et Poulenc au Théâtre des Champs-Elysées, Le Rossignol et Les Mamelles de Tirésias permettent une nouvelle fois à Sabine Devieilhe de s’affirmer comme la grande chanteuse d’aujourd’hui.
À l’opéra, le couplage est un art subtil. Les quelques pièces courtes du répertoire sont généralement jumelées avec des œuvres sœurs : tels Cavalleria Rusticana de Mascagni avec Pagliaccide Leoncavallo, ou bien les deux Ravel : L’Enfant et les sortilèges et L’Heure espagnole. Le montage opéré par Olivier Py pour son nouveau spectacle sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées est plus audacieux et périlleux.
Certes, Igor Stravinsky et son cadet Francis Poulenc partageaient estime et amitiés, mais leur inspiration et leurs univers sonores étaient en bien des points distincts. Ainsi Rossignol, bref conte lyrique pensé comme un ballet et créé à l’opéra de Paris en 1914, n’a pas grand rapport avec Les Mamelles de Tirésias, délirant opéra-bouffe créé à l’opéra-comique en 1947. Telle est pourtant la greffe dans laquelle s’est lancée Py, avec une verve et une énergie assez remarquables.
Pour Le Rossignol, nous sommes dans les coulisses d’un théâtre, comprenant vite qu’il s’agit du « backstage » des Mamelles qu’on verra en seconde partie. Le scénographe n’a pas cherché à recréer la poésie du conte d’Andersen, dans lequel un empereur chinois est fasciné par le chant d’un rossignol, avant de lui préférer celui d’un oiseau électrique. Il faut dire que le livret assez plat (ici en langue française) est surtout prétexte à une musique admirable de subtilité, de contrastes, d’audaces, qui est contemporaine des grands ballets du maître : Petrouchka et le Sacre.
Pour le Poulenc, on passe de l’autre côté de la scène, dans une rubiconde salle de cabaret, où la folie des Mamelles est traitée comme une revue de Music-Hall gay. Olivier Py s’en donne à cœur joie dans le registre Village people et la provocation pénienne ; et il faut dire que son plaisir est communicatif ! Le livret délirant de Guillaume Apollinaire et la partition frénétique de Francis Poulenc sont ici magnifiés par un orchestre et une distribution exemplaires.
Après avoir exploré avec délicatesse les raffinements contemplatifs de Stravinski, François Xavier Roth et son ensemble Les Siècles nous offrent un Poulenc éruptif et potache. Cette fable pataphysique et sans queue ni tête sur le féminisme, le changement de sexe et la gestation par les hommes, trouve une résonance étrangement contemporaine soixante-quinze ans après sa création. Heureusement Py n’a pas cherché à nous donner de leçon mais préfère un grand délire circassien où les chanteurs semblent s’amuser comme des petits fous. Pour les deux opéras, chaque interprète serait à citer tant ils sont au meilleur d’eux-mêmes. Remarquable Laurent Naouri, sorte de Monsieur Loyal et trait d’union des deux œuvres. Comme toujours excellent Cyrille Dubois. Dans le rôle de l’empereur de Chine puis du mari transgenre, Jean-Sébastien Bou est impressionnant de maîtrise et de folie contenue. Mais la palme est évidemment remportée par Sabine Devieilhe, qui n’en finit pas de sidérer par la beauté de sa voix alliée à une maîtrise, une technique et un naturel à nul autre pareil. S’il fallait faire une remarque, avouons qu’elle est plus Rossignol que Thérèse, tant elle sublime la pureté Stravinskienne. Elle est presque trop raffinée, trop véritablement musicienne pour Poulenc, n’ayant pas l’abattage canaille (et la vulgarité sous contrôle) de Denise Duval, créatrice du rôle. Mais c’est là chercher des noises à un spectacle qui vous emporte dans sa folie (surtout dans la seconde partie), vous donne des fourmis dans les jambes et vous fait rire aux éclats. Après la Voix humaine et Dialogues des carmélites, le tandem Py-Poulenc est un attelage qui fait des étincelles.
Le Rossignol d’Igor Stravinski, Les Mamelles de Tirésias de Francis Poulenc, dirigé par François-Xavier Roth, mis en scène par Olivier Py, Théâtre des Champs-Elysées, jusqu’au 19 mars.