Le génial Jan Van Imschoot est un oiseau rare : un très grand peintre, et un très drolatique peintre. La preuve avec cette exposition chez Templon…
On gage que quelques espiègles escarbilles ont clignoté sur la rétine de Jan Van Imschoot lorsque, d’un pinceau pince-sans-rire, il a appliqué en haut, à droite, sur une toile, la double paire de segments rouges d’une horloge digitale. Ils ne dérogent point, ces chiffres, à la déconcertante facture, aux bouchonnements véhémentement brossés, au jet fougueux de tempérament, à la vigueur de main qui paraphe cette peinture plus sûrement qu’un nom, et laisse toujours le visiteur plein d’une espèce d’amusement craintif, comme devant les jeux d’un colossal enfant, infiniment déluré et facétieux, infiniment savant aussi.
Les bâtonnets de couleur qui indiquent l’heure sur la toile dont je vous parle, l’enfant-titan les a tirés de son coffre à jouets, de son sac à malices, car nul plus que Jan Van Imschoot n’a fait de l’art pictural sabbat plus endiablé des époques et des temps. Nul plus que lui n’a su, dans l’affectation trompeuse d’insouciance de sa pratique, dans son mâle mépris des lècheries, affoler les aiguilles de l’histoire de l’art et de ses distinctions chronologiques. Et nul ne l’a fait avec plus de science : cette désinvolture d’aspect, ces commotions de la touche, ce sabrage de la surface, c’est encore le jeu moqueur d’un titan génial dont la suprême élégance consiste à farder de rusticité l’érudition.
Je laisse à chacun le soin de relever le défi du jeu de piste, d’élucider les allusions, d’apprécier les irrévérences ; qu’on me permette seulement ici une analogie pour donner une idée approximative de l’exposition. Qu’on se figure un musée tout entier dévolu aux maîtres anciens (reflets, vaisselle, fruits, étoffes, postures, et toujours ou presque ce sertissage de noir, la plus sûre marque de ces temps de bravoure où le destin, l’emploi et les problèmes ardus de la lumière étaient une question de vie ou de mort de l’image, où l’on peignait pour ainsi, comme un Rembrandt, face à la nuit, dans un perpétuel affrontement). Qu’on suppose ce musée placé sous la protection et le vocable de la Femme, celle-ci s’appela-t-elle Alice Guy ou Sonia Delaunay, qu’on se représente ses tableaux comme des hommages plus ou moins déguisés à celles-ci ; qu’on imagine se répercuter contre les murs la bonhomie rabelaisienne et madrée du rire de l’enfant géant – et l’on aura un sommaire aperçu de l’ensemble.
« Sommaire », parce que si Jan Van Imschoot tient de Frans Hals et de ses « goguenardises d’esprit et de main », pour parler comme Eugène Fromentin, s’il a, comme peintre et comme penseur surréaliste (il faudrait s’attarder sur les titres de ses tableaux, qu’on dirait sortis de l’Anthologie de l’humour noir) tout un musée dans la tête et, ce qui est plus important, au bout des doigts – tout cela n’est qu’une façon de masquer son jeu. Lequel est sacré, car tout entier exécuté en l’honneur d’un dieu : Éros. La liberté d’allure, l’impétuosité bouillonnante de la main décèlent une suprême habileté, celle qu’avait aussi le Degas des pastels : un sentiment éminent de la chair vivante, réelle.
Exposition Jan Van Imschoot, Les Nocturnes des bonnes vivantes, galerie Templon, jusqu’au 20 mai