En 52 portraits vifs et drôles, François Cérésa livre sabre au clair son panthéon subjectif de ceux qui incarnent pour lui, une certaine idée de la France, avec virtuosité, obstination, et élégance.
Et de quoi parle-t-on, tout d’abord ? Qu’entend-on ici par panache ? Une forme de bravoure spectaculaire, de vaillance chevaleresque, d’héroïsme virevoltant ? Ou ne serait-ce plus prosaïquement qu’un vulgaire « prurit de l’individualisme, une hypertrophie du moi » fuyant le collectif pour mieux se mettre en valeur ?, s’interroge François Cérésa.
Avant toute chose, « c‘est l’audace qui permet le panache », proclame l’auteur. Mais si l’on n’y ajoute une bonne dose de vanité en quête de gloire, on n’obtient que des « panachards », des Général Boulanger, des forts en gueules, des chauvins, des pénibles, aurait cinglé Audiard.
Les Anglais – « cette nation de boutiquiers », professait Napoléon – n’auraient pour eux que le courage, alors que les Français savent y ajouter un supplément d’âme, un je-ne-sais-quoi de « so French », qui fait toute la différence pour prétendre au panache.
Edmond Rostand – qui d’autre ?! – en connait un rayon. Le panache, pour l’auteur de Cyrano, c’est l’esprit de bravoure « avec un délicat refus de se prendre au tragique. Il est dans la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime ; un peu frivole peut-être, un peu théâtral sans doute, le panache n’est qu’une grâce. « L’esprit qui voltige n’est-il pas la plus belle victoire sur la carcasse qui tremble ? ».
Les portraits de François Cérésa montrent qu’il faut aussi une volonté inoxydable pour faire triompher la liberté, associée à une sacrée envie d’envoyer par-dessus bord les convenances et les jalons d’une société corsetée, pour sauver sa peau ou celle de son pays, ou simplement pour exister, vraiment, quand tout s’y oppose.
Le panache français, c’est le Vendéen Charette, furieusement contre-révolutionnaire, qui félicita ses ennemis de l’avoir enfin capturé, avant d’ordonner lui-même le feu de son exécution par les armes, en 1796 : « Savez-vous, Messieurs, que si je n’avais pas été aussi durement blessé, je vous eusse encore échappé ce coup-ci ? ».
C’est Jacques Anquetil, champion cycliste, qui bat Poulidor dans le Critérium du Dauphiné Libéré, le 29 mai 1965, avant d’avaler un steak tartare sur le pouce et une bière fraîche avec un cigare – car son médecin lui avait conseillé d’arrêter les cigarettes – et de s’envoler avec le Mystère 20 mis spécialement à sa disposition par De Gaulle, pour s’aligner sur le Bordeaux-Paris, quelques heures plus tard, à l’aube. Qu’il gagnera également, devant Geminiani, qui avait raillé sa mine fatiguée.
Redevenu piéton, Anquetil était poursuivi par les photographes et il prétendait que remporter une course lui permettait de « se reposer un peu »…
Le panache français, c’est aussi Marie Curie, qui se tua littéralement à la tâche pour promouvoir la radiothérapie, et qui avait auparavant remué ciel et terre pour imposer ses « petites curies », unités mobiles de lecture par rayons X des corps blessés, en pleine Guerre de 14-18.
Le panache, c’est aussi sans conteste l’expression du « French flair », celui de Christophe Dominici dominant Jonah Lomu en 1999, d’un Jean-Pierre Rives en sang bravant la perfide Albion, ou encore d’Antoine Dupont, nouvelle star du rugby tricolore.
C’est aussi Rabelais, qui aurait mérité cent fois la roue pour ses écrits, lui le « polémiste de bonne humeur », philosophe truculent, profond, défricheur et blasphémateur de toutes les bonnes mœurs, « qui respire l’amour de Dieu, dépouillé de ses artifices », à une époque où on ne plaisantait pas avec les textes sacrés.
François Cérésa évoque aussi ses vieux copains Maurice Druon, co-auteur du Chant des partisans avec Joseph Kessel, ou Maurice Clavel, tout à la fois ancien résistant, gaulliste de gauche et maoïste s’opposant aux chars russes en Hongrie, catholique exigeant salué par Mgr Lustiger, et indécrottable libre-penseur. « Messieurs les censeurs, bonsoir ! », lança-t-il un soir en quittant le plateau télévisé, en décembre 1971, quand il comprit que son reportage sur Pompidou avait été caviardé.
Le panache français, ça pourrait être ça : une certaine idée de la France, de son destin, de ses contemporains, mais avant toute chose, c’est une certaine idée de soi-même, et la conscience aiguë qu’il y a à défendre, contre vents et marées, où qu’on soit, et même à l’article de la mort comme Guy Môquet – « Vous qui restez, soyez dignes de nous » -, la préservation absolue de sa liberté et d’une authenticité non négociable, la dignité de se tenir toujours impeccablement debout, droit face à l’adversité.
Dictionnaire égoïste du panache français. François Cérésa, Le Cherche Midi. 400p., 22 €