Les lecteurs de Transfuge – et les autres – connaissent bien la plume d’Arnaud Viviant. Alerte et pénétrant, malicieux mais jamais volatile, solide mais jamais pesant : Station Goncourt est un remarquable essai sur les prix littéraires.
(Les lignes qui suivent sont extraites du Lagarde et Michard, édition 2073)
Viviant, Arnaud : écrivain (suivent quelques pages sur la vie, que, barthesio-proustiennement, j’écarte ; d’autres sur l’œuvre auxquelles les contraintes garrotteuses du nombre de signes me forcent à renvoyer le lecteur). Récipiendaire d’une abondance de distinctions, au nombre desquelles figurent :
- Le prix de l’Honnêteté (vocable souvent exsangue, mais l’emploi ici de ladite honnêteté se recommande par son à-propos et sa justesse : il ne s’agit pas seulement d’une précaution d’usage, mais d’une des notes dominantes du livre, qui enfourne, avec une intelligence alerte et gigogne la confidence et l’essai, le roman de la vie d’A.V. et la découpe décidée mais toujours équanime de ce grand corps arcimboldien que composent les prix littéraires français). Prix de l’Honnêteté attribué, donc, à l’auteur qui signale qu’il « [siège] d’une part au prix Décembre […] et d’autre part au prix de Flore.
- Puisqu’on en est à la lettre H, épinglons aussi sur le revers de la veste d’A.V. un grand prix d’Histoire : étendue et sûreté de l’information ; exposition ample, forante, pimentée par la sagace cocasserie d’une suave ironie ; netteté d’une ligne à la tenue ferme où pourtant anneaux et lacets ne manquent pas (là s’accuse un autre trait caractéristique de ce tempérament où s’allient, avec une belle entente des féconds apports de chacune des parties, la clarté d’impitoyable cristal de l’esprit latin et les ressources moins aisément susceptibles de taxinomie de l’arabesque) ; intelligence du détail et perception de la masse – toutes qualités qui en moins de 200 pages font de ce livre autant une étude qu’un complet tableau, un guide qu’une clef. Goncourt, Renaudot, Medicis, Maurice Nadeau, Alain Robbe-Grillet, Robert Pinget : cette traînée de noms n’est qu’un pauvre échantillon de la matière ample que brasse de façon si resserrée A.V.
- La mauvaise caricature de l’historien en cardigan persillé de taches suspectes, aux manches lustrées, au jugement amorti à force de coucher faits, dates, faits, dates, faits, dates sur le papier ou, pis, son jumeau bâtard, le lépidoptériste de basses anecdotes : ni l’un, ni l’autre n’ont quoi que ce soit de commun avec A.V.. Il conte, et bien, c’est entendu ; il cite, et judicieusement, c’est tout aussi entendu ; mais c’est le prix de la Pensée politique qui couronne plus justement l’auteur de Station Goncourt, puisque « j’aimerais défendre ici l’intuition que les prix littéraire […] constituent aussi sur un mode guilleret, sociable, agréable, mondain, coupe de champagne à la main et relations sociales en poche, la vitrine d’un fonctionnement démocratique et républicain, avec l’ombre de ses défauts au soleil de ses qualités suivant l’heure de la journée à laquelle on en discuterait ».
- Reste que la suprême distinction est un prix de Littérature ; que Station Goncourtrelie en une chaîne ininterrompue des apertises que l’on eût cru malaisément associables : histoire littéraire, histoire tout court, méditation politique, fil biblique (Péguy, le degré de dénuement de l’écrivain, « l’Ancien Testament » d’Edmond de Goncourt, l’argent comme un précieux sang vital), et, cœur du livre, ce matériau sans quoi, il n’est point de littérature, ce matériau qui touche au cœur – en l’occurrence, les vicissitudes d’une histoire d’amitié.
Arnaud Viviant, Station Goncourt. 120 ans de prix littéraires, La Fabrique éditions, 180 p., 14€