Saburo Teshigawara et Rihoko Sato reviennent à la Philharmonie, autour du patrimoine musical européen, se permettant d’être Lost in Dance…
Saburo Teshigawara ? Tout un symbole ! Un vrai repère de la danse du XXe siècle. Qui perdure. Persiste et signe, de ses bras d’abord et puis, plus largement, de tout son corps. Finesse et légèreté. Un style incontournable pour qui voudrait découvrir ce que « danse calligraphique » veut dire. Avec une précaution, en guise de préambule. Car il convient de souligner sa singularité artistique, notamment parce que l’Europe identifie la danse japonaise de l’après-guerre au butô. Mais le fondateur de Karas, sa compagnie tokyoïte, ne saurait être, dans son état de corps si aérien, plus éloigné de la très tellurique danse des ténèbres. Autre différence : On ne danse pas en couple, chez les butoka. Teshigawara, si. Avec Rihoko Sato, il forme un binôme qui, après avoir collaboré avec des compositeurs de musique électronique, s’est tourné vers les instruments d’orchestre, le chant choral et les œuvres symphoniques pour explorer, planète par planète, la galaxie de la musique classique occidentale, leur impesanteur dansée s’adaptant à toutes les ambiances.
Teshigawara, c’est le corbeau, selon le nom de sa compagnie : Karas. Bien vu car lui et Sato sont comme deux paires d’ailes qui s’envolent, peu importe leur âge. Même si celui du maître approche des 70 ans, rien n’a su alourdir leur danse stratosphérique. Au contraire, quand ils la transmettent à de jeunes danseurs, ils se montrent toujours au-dessus de la mêlée. Ce qui veut dire que contrairement aux apparences, la légèreté est le fruit de l’expérience, ici dans une quasi-fusion entre le danseur et l’espace environnant, où la fluidité du mouvement crée une porosité apparente entre l’air, la chair et la peau, sans technologie ni effets spéciaux. L’effet Teshigawara, issu de cette invention et de son épure, est celui d’une liberté maximale par rapport à la matérialité et la gravité. Ce qui permet de transcender le Pierrot Lunaire de Schönberg comme Alban Berg, Bach comme Bartók. Berlioz aussi était tombé dans leur giron, puis Prokofiev et autres Tchaïkovski…
Aussi Teshigawara et Sato orchestrent une fusion Orient-Occident qui leur permet, dans un autre volet de leurs recherches, de cultiver également une fibre plus théâtrale, en dialogue avec quelques classiques de la littérature européenne. Au fil des décennies, le public les a vus naviguer ensemble à la scène, ce qui a inspiré à beaucoup la vision d’un couple à la ville. Et pourtant on se trompe. Les deux se sont rencontrés quand Sato participa à un atelier du maître, et les deux ne se sont plus quittés. Mais leur relation s’est cantonnée à la création artistique, peut-être en raison de la fulgurance de Sato. « Elle était très mince et bougeait tellement vite que je l’ai surnommée ‘fil électrique’ », se souvient celui dont le crâne carré et dégarni au-dessus d’un corps tout en fluidité est devenu aussi iconique que l’image de Nijinksi dans le costume du Faune. Une signature unique, où le corps se transforme en encre et pinceau, créant une calligraphie de l’air.
Saburo Teshigawara / Rihoko Sato. Bach, Bartók du 4 au 5 mai. Lost in Dance (Berg, Schönberg) du 11 au 12 Mai. Philharmonie de Paris