Vingt-quatre ans après sa création, Arthur Nauzyciel reprend Le Malade imaginaire ou le Silence de Molière avec des acteurs issus de l’Ecole du Théâtre national de Bretagne.
D’où est née l’envie de reprendre cette mise en scène du Malade imaginaire, votre tout premier spectacle créé en 1999 à Lorient ?
Il y a cette scène clef entre Louison et Argan sur laquelle j’avais travaillé avant même de monter la pièce avec des élèves de l’école Claude Mathieu, puis avec des amateurs. À force de la travailler, cette scène délivrait un secret : l’histoire, comme occultée, enfouie sous le texte de Molière voulant mettre en scène sa propre fille, laquelle finalement refuse d’être actrice. C’est autour de ce moment déterminant de la pièce que s’était construit Le Malade imaginaire ou le Silence de Molière. Depuis que je dirige le Théâtre national de Bretagne à Rennes, je reviens régulièrement à cette scène avec les élèves de l’Ecole. J’ai remarqué que c’était une bonne façon d’aborder mon travail sur la langue au théâtre, et aussi une bonne entrée dans l’œuvre de Molière. Je trouvais aussi intéressant de partager avec eux ces premiers pas dans ma démarche de metteur en scène, qui envisage le théâtre comme un lieu de la parole et de la réparation. Sur ce, Eric Vigner, qui m’avait déjà encouragé à monter la pièce en 1998, m’a proposé de la reprendre dans le cadre du festival Molière qu’il organisait à Pau. J’ai d’abord hésité. Puis on s’est dit avec Laurent Poitrenaud qui dirige l’Ecole du TNB (et qui interprétait Argan dans le spectacle), que cela coïncidait avec l’entrée dans la vie active de la 10e promotion de l’Ecole et que ça serait une bonne idée de reprendre cette mise en scène avec eux.
Pourquoi avoir intégré dans le spectacle le texte de Giovanni Macchia, Le Silence de Molière ?
Toujours à cause de cette scène entre Argan et Louison. En creusant au maximum le sens des mots, on finit par voir un homme qui essaie de mettre en scène une petite fille. Ce qu’elle refuse. Et elle finit par jouer la mort. Et quand elle joue la mort, il la pleure. Alors il y a une réconciliation. Moi je suis très factuel. Je me suis dit : c’est bizarre, on dirait que c’est Molière qui essaie de mettre en scène sa fille. Je ne connaissais pas le texte de Giovanni Macchia à ce moment-là. Mais j’ai fait des recherches sur la vie de Molière et je suis tombé sur ce livre dans lequel Macchia reconstitue une interview où un jeune homme interroge Esprit-Madeleine Poquelin et elle raconte comment son père avait écrit pour elle une scène dans Le Malade imaginaire, la scène de Louison ; scène qu’elle a refusé de jouer et que c’était une grande peine pour son père. Ce qui est troublant dans la pièce, c’est qu’à la fin de la scène, Argan dit : « Il n’y a plus d’enfants ». Ce qu’on peut interpréter comme « il n’y a plus d’enfants pour me succéder ». Ce qui veut dire qu’il n’y a personne pour succéder à Molière, car elle était sa seule enfant. Donc j’ai décidé d’intégrer le texte de Macchia sous la forme d’un monologue d’Esprit-Madeleine Poquelin. Cela produit quelque chose d’incroyable qui est que, se jouant du temps et de l’espace, le théâtre permet au père et à la fille de jouer une scène qu’ils n’ont jamais jouée de leur vivant.
Comment percevez-vous cette mise en scène avec le recul des années ?
Cela m’a reconnecté avec le contexte de l’époque où beaucoup d’amis mourraient du sida. On était dans une ambiance particulière où la question de la mort, de la transmission était assez concrète pour nous, bien qu’on soit jeunes. Avec cette idée que le théâtre peut sauver. Il y a une mélancolie dans la pièce. Et des résonances étranges quand Esprit-Madeleine dit : « J’ai voulu arrêter une chaîne de deuil ». Il y a eu quelque chose d’extraordinaire, c’est quand on est allé voir les costumes avec les comédiens. On aurait dit des fantômes endormis. Ils avaient gardé la forme de ceux qui les ont portés. C’est aussi une façon de lutter contre l’éphémère du théâtre. Depuis toujours je défends l’idée de répertoire.
Le Malade imaginaire ou le Silence de Molière, d’après Molière et Giovanni Macchia, mise en scène Arthur Nauzyciel. Théâtre national de Bretagne, Rennes, du 3 au 16 mai.