L’Orchestre National d’Île-de-France a donné carte blanche à l’écrivaine Delphine de Vigan pour façonner un texte inspiré de la 5e symphonie de Gustav Mahler et proposer une forme fictionnelle à cette partition-monde. À voir ce weekend en région parisienne.
Étrange destin que celui de la 5e symphonie de Mahler, première que le compositeur autrichien ne voue pas à la littérature, mais dont la littérature n’a cessé de se saisir. Alors que les quatre symphonies précédentes trouvent leur inspiration chez Jean-Paul, Brentano et Arnim, Mahler abandonne ici les références textuelles, délaissant d’ailleurs les voix. Mais dans l’inconscient musical collectif, la 5e et son Adagietto, rendus célèbres par La Mort à Venise de Visconti, c’est aussi Thomas Mann et la littérature.
Comme pour faire perdurer le paradoxe du destin, et dans cette démarche de proposer de nouveaux types de concerts faisant se croiser formes et médiums, l’Orchestre National d’Île-de-France a invité Delphine de Vigan à composer un texte à partir de ce monument post-romantique. Dans une obscurité quasi totale, l’auteure de Rien ne s’oppose à la nuit fait une dramatique entrée sur scène, en présence de l’orchestre et du chef. Sensation étonnante dans cette grande salle de la Philharmonie de Paris, où le public reste toujours visible. Cette fois, seules les infimes lumières bleues du plateau et celles, blondes comme des photophores, indiquant les marches menant aux rangées, trouent la pénombre. Puis la silhouette longue et frêle de Delphine de Vigan apparaît dans un halo lumineux au moment même où résonnent ses premiers mots, Il attend, répétés après une longue respiration. C’est le point de vue d’un homme, d’abord, qui espère l’arrivée de la femme aimée, billets en main, avant un concert… de la 5e symphonie de Mahler. Cette femme ne viendra pas, la proposition d’écouter une telle œuvre étant l’aveu d’un désir d’intimité trop grand pour elle ; une autre, plus âgée, la remplacera, et ce sera un point de vue féminin que l’on finira par entendre. Delphine de Vigan prend ainsi le parti de la fiction, non de la poésie ou de la musicologie, avec un texte d’une douzaine de minutes, adhérant à l’architecture tripartie de la symphonie. Partant de la liminaire Trauermarsch, marche funèbre aux accents angoissés, progressant au gré de la riche palette de sentiments humains que déploie le compositeur, le texte s’achemine vers la lumière triomphale du dernier mouvement en ré majeur, pour évoquer cet homme jeune et cette femme plus âgée qui s’apprêtent à assister à ce petit miracle, la naissance de la musique. Tels sont les derniers mots prononcés, certes un peu attendus, mais qui, accompagnés par le jeu doux des cordes faisant mine de s’accorder, éveillent une émotion certaine.
Le concert, prévu sous la baguette de Case Scaglione, actuel directeur musical de l’ONDIF et ancien chef associé au New York Philharmonic – orchestre imprégné de Mahler, qui le dirigea pendant presque deux saisons, jusqu’à sa mort au printemps 1911 – a été finalement mené par Eugene Tzigane. Alors que l’écrivaine imite avec un bel équilibre les respirations et accélérations caractéristiques de l’œuvre, le jeune chef, qui se produit surtout en Finlande et en Allemagne, montre un sens un peu prononcé de l’agogique ainsi qu’une volonté marquée de faire entendre le sous-texte – comme pour donner la parole à l’inconscient de la partition ? – extrayant avec plus ou moins de bonheur des articulations et harmoniques habituellement moins audibles. Il parvient néanmoins à tenir un ONDIF très en forme, aux bois et cuivres éclatants et aux archets articulés, et à offrir un final balayant les doutes et suscitant l’enthousiasme de la salle.
5e symphonie de Gustav Mahler. Samedi 13 mai à Alfortville. Dimanche 14 mai à Saint-Michel-sur-Orge. Réservations en suivant ce lien.