Avec ce vrai documentaire d’un faux biopic, la réalisatrice du Challat de Tunis cherche un moyen de comprendre l’esprit d’une mère dont deux filles sont parties rejoindre l’Etat Islamique.
Il y a une dizaine d’années, deux des filles d’Olfa sont parties rejoindre l’État Islamique. La réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania a voulu comprendre comment deux adolescentes issues d’un milieu modeste avaient pu faire un tel choix. Pour y parvenir, elle a d’abord voulu réaliser un long film documentaire en forme d’entretiens avec leur mère et les deux autres petites sœurs. Mais Ben Hania s’est vite rendu compte qu’Olfa jouait la comédie devant sa caméra, se conformant aux clichés de la mère éplorée et accablée de culpabilité tel qu’on peut en voir dans quantité de films sans grand intérêt sur le sujet comme Fleur d’Alep de Ridha Béhi (2016). Pour y palier, elle a alors eu recours à un stratagème retors : faire un documentaire sur le tournage d’un biopic fictionnel d’Olfa mais qui ne verrait jamais le jour et dont le rôle d’Olfa serait tenu par Hend Sabri, la grande vedette tunisienne du cinéma arabo-musulman. Au fur et à mesure que Sabri serait censée rejouer les moments déterminants de la vie d’Olfa et de ses filles, elle interroge Olfa et ses filles pour leur demander des éclaircissements, des explications et tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé. Parallèlement à ce jeu de questions-réponses, la cinéaste se met en scène en train de questionner et de diriger la vraie et la fausse Olfa. Aussi tortueux et complexe soit ce dispositif, il permet à la mère de s’interroger en profondeur sur son éducation, sa culture religieuse, son rapport aux hommes, à la sexualité. Il révèle la part culturelle et inconsciente de son instruction traditionnelle. Il lui permet d’affronter certaines vérités avec distance, sans déni ni complaisance. Le film parvient à dépeindre un extraordinaire personnage de cinéma dans toutes ses contradictions : si Olfa a un lien privilégié d’intimité avec ses filles, c’est aussi une mère violente et intolérante, une gardienne d’un ordre éthique et religieux auquel cette incroyante sexuellement libérée n’adhère pas. Épouse lassée, amante enjouée, femme libre, elle n’a eu de cesse de réprimer la sexualité de ses filles aînées. Aux explications d’Olfa se superposent celles des deux jeunes sœurs expliquant des choses ahurissantes pour nous autres occidentaux : sous la dictature de Ben Ali, les islamistes étant jugés comme les principaux ennemis de l’État, le voile intégral a commencé à être perçu par les adolescentes comme un symbole de rébellion ou de liberté. C’est dans ce climat entre fausses libertés et répression sexuelle hypocrite que deux gamines, qui avaient déjà le goût de la rébellion et des jeux gothiques, ont fait le choix de l’intolérance absolue. Le dispositif de Ben Hania rappelle celui de Close up d’Abbas Kiarostami qui avait dit : « C’est au cœur du mensonge que se trouve la vérité parce qu’on y est débarrassé de la réalité. Si vous acceptez l’idée que chacun est en train de jouer, de mentir, c’est là qu’il ouvre son cœur et qu’il livre sa vérité. ». Passionnant et tortueux, Les filles d’Olfa donne de précieux gages à cet esthétisme du faux.
Les filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania. Jour2fête, sortie le 5 juillet
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