Sur le thème ô combien sensible de la finance et de ses effets délétères, Olivier Frejd signe un spectacle musical pétillant d’humour co-écrit et joué par des détenus et des résidents d’Ephad. A voir jusqu’à ce soir au Châtelet.
Par Hugues Le Tanneur
Une pluie de billets de banque s’abat sur la scène. Au même moment dans la salle, on distribue au public des billets en pagaille. Helicopter money ? Quoiqu’il en coûte ? Rêve de cocagne ? Effets secondaires de l’inflation galopante ? Un peu de tout ça à la fois, doublé du fantasme de l’« argent facile ». Sauf que l’expression est un oxymore. L’argent n’est jamais « facile ». Comme le montre avec brio FLOUZ, sous titré Cirque financier, création collective conçue et mise en scène par Olivier Fredj.
Mêlant théâtre, arts du cirque et musiques, ce spectacle est le deuxième volet d’un triptyque initié avec Watch en 2022 sur le thème du temps. Or comme le dit un vieil adage « le temps, c’est de l’argent ». C’est donc cette fois la question épineuse du fric, du pognon, de l’artiche, qui est abordée aujourd’hui à partir de témoignages et de textes écrit lors d’ateliers par des détenus du Centre pénitentiaire de Meaux, dont certains sont présents sur scène, mais aussi par des résidents du Samu social de Paris ou de l’Ephad Huguette Valsecchi à Paris. Aux participants et co-auteurs de ce spectacle se joignent des circassiens acrobates de la compagnie XY, mais aussi des comédiens professionnels et des musiciens de l’Ensemble intercontemporain, dirigé par Jérôme Comte.
La musique joue un rôle important dans cette création avec en fil conducteur le piano de Shani Dulika auquel font écho les interventions du DJ Matias Aguayo. Ouvrant sur une note d’humour avec la présence au milieu du plateau d’une machine pour retirer de l’argent liquide, le spectacle montre d’emblée la différence entre ceux qui ont accès à cette source, en apparence illimitée, de cash et les autres. Alors qu’un réseau complexe de tuyaux donne un aperçu comique des complexités de la circulation monétaire, un protagoniste s’interroge : « Où est l’argent ? ». À autre moment se posera la question « D’où vient l’argent ? ». Dans les deux cas, les réponses sont loin d’aller de soi. Sur un écran vidéo, une étiquette indique la valeur estimée de telle ou telle marchandise, de tel ou tel travail suggérant l’aspect arbitraire de cet index.
Construit à partir de témoignages et de réflexions d’hommes et de femmes à qui l’argent a souvent manqué, FLOUZ ne prétend pas être un traité d’économie, mais frappe en revanche pas sa vérité et son bon sens. On assiste ainsi à de forts cocasses « Funérailles de l’argent » sous la forme d’une procession accompagnée au piano. Régulièrement un Monsieur Loyal en habit rayé muni d’une canne blanche de non-voyant intervient sur le plateau accompagné d’un chien qui, bien dressé, aboie toujours au bon moment. Beaucoup de sujets sont abordés toujours sous le signe de l’humour, comme quand certains imaginent la prison sous la forme d’un hôtel de luxe. Tous les rêves sont permis quand l’imagination règne. Un SDF raconte comment la nuit en observant le ciel étoilé il a acquis la faculté de prévoir l’avenir. « J’aurais dû vendre mes rêves prémonitoires, j’aurais gagné des milliards », regrette-t-il. Tous se déguisent bientôt en objets de consommation courante tels qu’on les trouve dans le fameux « panier de la ménagère », pour se livrer à une désopilante valse des étiquettes.
Avec son côté de bric et de broc hétéroclite, un peu foutraque, ce spectacle n’a pas seulement le mérite de donner la parole à ceux qui n’ont que le droit de se taire, il offre à travers l’interaction entre musiques – de Moondog à Philip Glass en passant par John Cage, Daft Punk ou Julius Eastman – et témoignages un authentique moment de grâce et d’ironie aussi piquante que touchante et généreuse.
FLOUZ, Cirque financier, conception et mise en scène, Olivier Fredjz, jusqu’au 10 septembre au théâtre du Châtelet, Paris (75) https://www.chatelet.com/
