C’est la pianiste que l’on s’arrache en France : cette jeune nippo-allemande excelle dans la musique française et les expériences hors du commun. Portrait d’une artiste qui inaugure la saison de l’Orchestre National de Lille.
Tout a commencé par une babysitter absente, un récital de piano où ses parents n’ont d’autre choix que de l’emmener. À trois ans, c’est une révélation : Alice Sara Ott sera pianiste. Sa mère, qui enseigne cet instrument, est réticente. La musique est un métier incertain. Mais la fillette insiste. Elle reçoit ses premières leçons un an plus tard, et à douze ans, au Mozarteum de Salzbourg, elle étudie auprès de Karl-Heinz Kämmerling, grand organisateur de master class à travers le monde. « Il m’a donné l’occasion de voyager et d’accumuler des expériences de scène lors des concerts de clôture. Mais j’ai aussi participé à de nombreux concours qui m’ont permis de me fabriquer un répertoire solide. » Alice Sara Ott remporte des prix, elle est invitée dans des salles prestigieuses. « Ma carrière s’est vite construite, mais pas à pas, une invitation en amenant une autre. Il n’y a pas a eu le moment décisif qui a tout bouleversé. » La Deutsche Grammophon la repère, assiste à ses concerts et la signe en exclusivité alors qu’elle n’a que dix-neuf ans. Ce seront les 12 études d’exécution transcendante de Liszt, en 2009. Avec l’Hexagone, sa relation est récente. « Dans les dix premières années de ma carrière, la France n’a pas vraiment compté, personne ne me sollicitait. Et je ne sais pas ce qui s’est passé, mais depuis cinq ans, c’est devenu le pays qui m’invite le plus », s’étonne-t-elle. Peut-être en raison de son amour pour la musique française, révélé en 2018, lors d’une tournée où elle a enregistré Nightfall, un disque consacré à Satie, Debussy et Ravel ? Fin septembre, elle retrouvera l’Orchestre National de Lille, découvert lors d’un concert en streaming avec la cheffe Elim Chan durant la pandémie. Cette fois, ce sera pour l’ouverture de la saison, avec le concerto de Grieg qu’elle jouera sous la direction d’Alexandre Bloch. Une première rencontre. Puis elle sera de retour à Paris, en tant que musicienne en résidence à Radio France. La jeune femme se lance aujourd’hui dans des projets inattendus, mêlant contemporain et classique, ou n’hésitant pas à bousculer les conventions. Ainsi, pour son dernier album, Echos of life, elle a enregistré les vingt-quatre préludes op. 28 de Chopin, entrecoupés de pièces contemporaines, d’Arvo Pärt à Chilly Gonzales, et se terminant sur son propre arrangement du Lacrimosa du Requiem de Mozart. « La réduction pour piano que j’avais trouvée ne s’intégrait pas à l’image sonore que je me faisais du disque. Je ne voulais pas finir sur le dernier prélude de Chopin, pièce sombre et douloureuse, tandis que le Lacrimosa est lumineux ». Pour ce projet, la pianiste a travaillé avec l’architecte turc Hakan Demirel, qui a créé un film non narratif, à partir d’éléments architectoniques, projeté lors des concerts. « Un tel projet, si peu classique, est difficile à proposer, mais les réactions ont été enthousiastes, et il faut briser les limites entre les arts, ouvrir une voie différente aux musiciens de demain ». Dernière singularité, comme la violoniste Patricia Kopatchinskaja, Alice Sara Ott aime se produire pieds-nus. « Au nom de quoi se conformer à des codes ? Dans la musique, on veut tout simplement se sentir bien. »
Concert d’ouverture de saison
Orchestre National de Lille, direction Alexandre Bloch, piano Alice Sara Ott
Lille, Nouveau Siècle, 28 et 29 septembre, Plus d’informations