Jean-Baptiste Andrea vient de remporter le prix Goncourt pour Veiller sur elle. Un pâle roman qui laisse sur sa faim.
J’ai piqué du nez. Une fois, deux fois, trois fois. Je revenais de vacances, aucune raison de mettre ses piqués du nez sur la fatigue. Non, il s’agissait bien de ce livre, Veiller sur elle. (L’iconoclaste). D’un certain Jean-Baptiste Andrea. Ne retenez pas ce nom, il sera oublié dès l’année prochaine.
J’allais écrire qu’on avait à faire à un roman vieillot, construit sur le patron des romans du XIXe siècle. Mais ce serait faire offense aux grands de ce siècle. Stendhal, par exemple, dont la prose fuse, galope, prend des raccourcis, si modernes. Ni Balzac qui creuse ses sujets comme un fou, comme un obsessionnel de son sujet, qui tombe, se relève, grogne, aime et désire. Non, Andrea est vieillot autrement. Il est vieux comme un premier de la classe. Un jeune vieux. Celui que personne n’aime à part les professeurs. Son récit est soigné comme une excellente copie de lycée, rien ne se perd, rien ne se gagne. Le rythme de chaque phrase est parfait, c’est-à-dire inhumain. Son récit est peigné au peigne fin, lissé du premier au dernier mot. D’où l’ennui : rien ne palpite, rien ne dérape, rien ne nous happe. Un simple récit comme une histoire racontée par nos grands-mères au coin du feu. Vous ne saurez rien de plus sur l’âme humaine, rien de plus sur l’histoire, rien de plus d’un point de vue sociologique ou métaphysique, ou spirituel. C’est le livre des riens. Rien non plus sur le désordre du monde, rien non plus sur le désordre intime. Andrea nous ment comme notre grand-mère nous mentait : ils essaient de nous faire croire que la vie a un sens, que le monde est ordonné. Alors ceux qui ont passé l’âge de croire à ces fariboles-et nous sommes hélas nombreux- passez votre chemin. Comment peut-on encore écrire ce genre de roman dans un monde postmoderne, le nôtre, où la croyance dans le progrès, où la croyance dans le récit un et continu, est si ébranlé ? J’ai rarement lu un livre qui était dans un décalage aussi considérable avec le monde tel qu’on le sent aujourd’hui : fissuré, malade, brinquebalant. En crise. Ce livre est une bulle. Une bulle académique de surcroît. Que dire de ces phrases à la langue surannée ? On ne s’endort pas chez Andrea, « on s’abandonne au demi-sommeil ». On ne s’énerve pas chez Andrea, on « maugrée ». Et, comme chez Zola, « le train cracha une fumée noire ». Un petit passé simple pour ne rien gâcher de l’assommante fête.
Tout est savamment équilibré chez lui, pas méchant pour un sou, mais pas non plus animé d’une bonté particulière. Une sorte de François Bayrou de la littérature. Andrea, on l’aurait à notre table, on le ferait boire jusqu’à plus soif pour enfin, le faire sortir de lui-même et des propos convenus de gendre idéal qu’il tient depuis le début du dîner. Moins de panache que lui, tu meurs. Le grand sommeil.
Dommage. Eric Reinhardt, quand il ne signe pas de pétition douteuse sur la Palestine initiée par l’Humanité, écrit des romans qui méritent le Goncourt. Sarah, Suzanne et l’écrivain est un roman autrement ambitieux et mieux écrit que Veiller sur elle.
Dommage pour Gaspar Koenig, qui pour Humus, avait fait l’ouverture de Transfuge en septembre. Notre engouement numéro 1. Une connaissance hyper précise de l’écologie politique, un art du récit et des personnages. Une intelligence en mouvement. Une hypercontemporanéité et une culture classique qui assurent à Koenig un bel avenir littéraire. Et Neige Sinno était aussi une excellente candidate. Dommage, vraiment.
L’année dernière, Da Empoli signait un livre passionnant, Le Mage du Kremlin, sur le fonctionnement du pouvoir tyrannique à la Poutine. Avec un art de la scène consommé. Avec une pensée puissante et peu connue du lectorat. Le Goncourt l’avait raté de peu. Brigitte Giraud, avec un livre anecdotique, Vivre vite, l’avait emporté.
Les Frères Goncourt doivent se retourner dans leur tombe.