Guillaume Meurice, humoriste de France inter, persiste et signe avec son dernier sketch Le grand pardon, dans ce qui s’apparenterait hélas avec de l’antisémitisme. Explications.
Tout le monde le sait depuis trois semaines, l’humoriste Guillaume Meurice a comparé Netanyahou à « une sorte de nazi sans prépuce ». Cette saillie m’a choqué, moi qui suis juif, certes, mais aussi athée, de gauche, contempteur de Nétanyahou et favorable depuis toujours à la création d’un état palestinien. La vanne pas drôle m’a remué car elle est doublement antisémite : d’une part parce qu’elle nazifie un Juif, (et Meurice est un récidiviste en la matière puisqu’il avait déjà commis une vanne honteuse associant en un faux lapsus Joseph Goebbels et Gabriel Attal) d’autre part parce qu’elle entend faire rire d’une tradition culturelle liée à la judéité. Là, on n’est plus dans la satire politique mais dans la moquerie et l’essentialisation d’un peuple : le « sans prépuce » vise les Juifs, pas seulement Nétanyahou. Meurice a d’ailleurs reçu l’imprimatur d’Alain Soral, ce qui devrait couper court à tout débat et analyse, confirmant le gros malaise et l’erreur de tir de ce sketch. J’ai laissé filer la polémique, me disant « il y a plus grave en ce moment, et puis Guillaume Meurice est intelligent, élégant, il va reconnaître son erreur, ça peut arriver à tout le monde de se planter, il va s’excuser et on passera à autre chose ». Or, pas du tout. Pour son retour à l’antenne le 12 novembre, jour de la marche contre l’antisémitisme et alors que les actes antisémites flambent en France et dans d’autres pays occidentaux, le héros de la gauche de la gauche lol a persisté et signé sur le mode « non je ne m’excuserai pas, non je ne me déjugerai pas, au contraire, je resterai bien droit dans mes bottes lol car je suis Charlie ».
Avant de poursuivre sur ce que m’inspirent cette obstination et les nouvelles vannes de Meurice, je tiens à préciser qu’elles ne sauraient en aucun cas justifier les menaces qu’il a reçues et qui sont aussi à mes yeux une ligne rouge à ne pas franchir. On combat l’humour fangeux par les mots, le raisonnement ou par des contre-vannes prophylactiques, pas par la violence.
Bref, contrairement à ce qu’affirme Télérama, Guillaume Meurice n’a pas du tout joué l’apaisement. Il a assigné France Inter pour contester son avertissement, et a redoublé de blagues limites : « on me dit, le Hamas aussi sont des nazis sans prépuce. Et oui, je n’ai jamais dit le contraire ! ». Ben surtout, il n’avait rien dit en ce sens. Pour sa satire d’Halloween, Meurice avait choisi comme costume monstrueux celui du chef d’état élu d’un pays démocratique, fut-il de droite et fortement critiquable, plutôt que celui d’un leader ou combattant du Hamas, groupe terroriste porteur d’une idéologie antisémite, sexiste, homophobe, eschatologique, et nullement au service du peuple palestinien si telle est la cause défendue par Meurice (et par moi). Meurice avait donc opéré un choix très parlant. L’humoriste a remis aussi le couvert sur son obsession du prépuce, ajoutant là le racisme à l’antisémitisme : car on peut rejeter le Hamas pour son idéologie et ses méthodes, pas parce que ses hommes sont circoncis. Meurice a enchaîné ensuite, « on m’a reproché de faire passer un fasciste pour un nazi » : rires, sous-entendant que fascisme et nazisme sont équivalents et que son humour n’avait donc pas du tout trébuché. L’humoriste politique ignore ou feint d’ignorer que fascisme et nazisme sont des concepts précis historiquement et politiquement. Outre que Nétanyahou et le régime politique israélien n’entrent pas dans ces deux catégories, il y a bien une différence entre le fascisme italien et le nazisme allemand, ô, une bricole, un point de détail comme dirait l’autre : le projet exterminateur, les camps de la mort, les chambres à gaz, copyright du seul nazisme. J’entends bien qu’un sketch radiophonique n’est pas un cours de science politique mais on n’est pas non plus obligé de véhiculer de l’ignorance et de la confusion quand on se veut billettiste sur une chaîne de service public.
Guillaume Meurice invoque la liberté d’expression et l’esprit Charlie : je suis favorable aux deux, mais je pense qu’il ne les a pas vraiment compris. D’abord, la liberté d’expression en France connaît des limites définies par nos lois, et c’est très bien qu’une société tente de poser des limites à l’expression des pulsions les plus toxiques dans l’espace public. Ensuite, j’aimerais que l’on arrête d’invoquer le bouclier Charlie (ou Desproges, ou Coluche) dès que l’on dérape. L’humour de Charlie (de Desproges, de Coluche) a toujours visé des idées, actes et comportements précis et ponctuels, jamais l’essence des êtres ni les caractéristiques générales réelles ou supposées d’un peuple. L’humour de Charlie est féroce et politique, et ce journal qui a toujours combattu le racisme a publié de nombreuses caricatures de rabbins ou de Nétanyahou jamais soupçonnables d’antisémitisme. Les dessinateurs de Charlie ont (ou avaient, hélas) un talent que Meurice ne semble pas posséder, car nazifier les Juifs, c’est stupide et pervers en regard de l’Histoire, et on ne voit pas bien en quoi le prépuce ou son absence aurait un quelconque rapport avec la politique de Nétanyahou ou avec la cause palestinienne. Guillaume Meurice n’est sans doute pas antisémite mais manifestement, sous couvert de critique légitime de la politique d’Israël, il pratique un humour antisémite sans le savoir, et surtout sans le comprendre.