Potemkine éclaire Noël, en sortant cet incroyable coffret de l’immense et dérangeant réalisateur Lars Von Trier. Sortez les porte- monnaies !
Le plus sulfureux des cinéastes danois fait l’objet d’un prestigieux coffret intégral de son œuvre signé Potemkine. Depuis Element of crime (1984), Europa (1991) à The House That Jack Built (2018), en passant par Breaking the Waves (1996), Dancer in the Dark (2000), Dogville (2003) ou encore Melancholia (2011), Lars von Trier traque le Mal sous toutes ses formes : mélo, comédie musicale, anticipation, horreur, dispositif à la théâtralité dépouillée. En 1995, il signe un manifeste cinématographique en forme de provocation et de révolution formelle, avec Thomas Vinterberg, appelé « Dogme95 » qui donne lieu aux Idiots (1998) pour lui et à Festen (1998) pour son comparse, avant de passer à autre chose (enfin le principe-même du « Dogme » est de ne faire qu’un seul film pour le Dogme). Polémique dans ses entretiens, il offre à voir sur grand écran une vision désabusée et mystique de l’être humain soumis à des forces contradictoires. Le combat métaphysique entre le Bien et le Mal se livre sur une terre où le chaos règne en maître. Le sexe et la mort fusionnent. Le péché est partout, la fin du monde nous guette et il faut bien un nouveau Dante pour nous guider dans ses visions infernales. L’eschatologie est son domaine, il tend à capter l’ultime petite lueur d’humanité plongée au sein de ténèbres sans fin. Rendre le monde meilleur, quel qu’en soit le prix, c’est le projet de nombre de ses personnages qui ont foi en une Bonté seule apte pour la salvation. Cependant, pour atteindre cet idéal, bien des sacrifices sont nécessaires et un flot de sang doit être versé. Dès Kessler (Jean-Marc Barr dans Europa), il multiplie les idéalistes, les « cœurs d’or », dans un monde déboussolé. « La foi est plus importante durant la guerre que quand le cliquetis des balles s’arrête. » Bess, Selma, Grace, voire Justine ou Joe, prennent la relève en payant le prix fort au milieu des cercles infernaux qui se déclinent en quelques chapitres narratifs. Entre profane et sacré, sa relecture biblique de la chute du Paradis terrestre conduit par exemple Charlotte Gainsbourg et Willem Defoe à rejouer Eve et Adam au milieu de la forêt d’Eden pour condamner l’humanité à une errance aussi éternelle que stérile (Antichrist). Sous l’égide de Tarkovski, il vise le cosmogonique, mettant en scène la nature et les éléments dans les tremblements de l’image, sa fixité, ses ralentis, ses jump cut, ses régimes variés, il cherche à atteindre un au-delà des images. Et celui-ci tient au corps.
Comment oublier notre première fois avec Lars. Pour ma part, ça s’appelait Breaking the Waves. A la sortie, le ventre à l’envers, le sol qui tremble. Trois jours pour m’en remettre. Car c’est ça Lars von Trier, un cinéaste qui communique ses visions aux viscères, un cinéaste de l’invasion et de la grâce. Revoir le désarmant sourire de Bess (Emily Watson) sur le bateau qui la mène à son Golgotha, sa foi indétrônable pour sauver l’homme qu’elle aime, sans jamais désespérer du miracle, pas même une fois clouée sur civière, tient du sublime. Son Dieu ne l’abandonne pas lorsqu’elle s’offre en victime expiatoire et son sacrifice est atroce. Même chanson avec Selma (Björk) lorsque Lars réinvente le musical hollywoodien avec cent caméras. Les miracles sont encore possibles à condition d’accepter la souffrance qui les accompagne. Cinéaste de la passion et de la dévastation intérieure, Lars von Trier nous rappelle qu’il ne faut pas se résigner ; que la puissance du cinéma, sa magie noire, consiste à faire vivre et danser des êtres de lumière sur silver screen dans l’espoir de vaincre l’obscurité en nous. Un coffret indispensable !
Coffret Lars von Trier, l’intégrale (Danemark) Element of Crime, Epidemic, Europa, Breaking the Waves, Les Idiots, Dancer in the Dark, Dogville, Five Obstructions, Manderlay, Le Direktor, Antichrist, Melancholia, Nymphomaniac director’s cut, The House That Jack Built, Potemkine, déjà disponible