Retour de Fantasio à l’Opéra Comique, un bijou de délicatesse dirigé par Laurent Campellone et mis en scène par Thomas Jolly.
Certaines légendes ont le cuir solide. Disons qu’il est difficile de se départir d’un genre ou d’un univers auquel on vous associe. Aux yeux du public, Offenbach fut un prodigieux amuseur et son nom reste synonyme de fête, d’humour, de sarcasme, de parodie et d’une sorte de folie un peu vaine, qui ne renvoie qu’à elle-même. C’est pourtant méconnaître les aspirations profondes de ce musicien génial, bien plus complexe qu’on ne le croyait, et qui passa sa vie à tenter d’être pris au sérieux. Las, les succès de ses grands opéras-bouffes et son omniprésence sur les scènes du monde entier finissaient par agacer, à tel point que ses pas de côtés étaient toujours regardés avec dédain. Que le clown occupât le terrain de la musique légère était une chose, mais qu’il se mêla de genres sérieux semblait impensable. Alors qu’on goûte aujourd’hui ces acteurs comiques qui, insensiblement, obliquent vers des emplois graves et tragiques, le père de La Belle Hélène s’est toujours vu interdire le droit d’émouvoir. Tout juste Les Contes d’Hoffmann -chef d’œuvre absolu s’il en est- est-il l’exception posthume qui confirme la règle. Hors cela, toutes les tentatives pour montrer que l’amuseur avait un cœur, une âme, des larmes, se soldaient par des fours et parfois des broncas. Parmi ces œuvres malheureuses, Fantasioest une merveille qui rata son rendez-vous avec l’histoire. Créé à l’Opéra-comique le 18 janvier 1872, cet opéra-comique ne dépassa pas les quinze représentations. Habitué et un rien blasé, Offenbach ne s’en émut pas plus que cela ; ayant toujours cent fers au feu, il se plongea dans d’autres projets. L’œuvre est pourtant un bijou de délicatesse : inspiré de la pièce éponyme de Musset, c’est au frère aîné du poète que l’on doit le livret. Jacques Offenbach a tissé ici une partition toute en demi-teinte, qui ne renie jamais son esprit mais flirte avec la nostalgie, la tendresse et une sorte de tristesse douce-amère. Ici, Offenbach annonce les bijoux de Hahn, de Messager, de Chabrier et même de Poulenc. L’histoire de ce jeune homme dépressif, qui par dépit devient bouffon du roi est un conte symbolique à l’inspiration funambulesque, qui oscille entre rêve et réalité. Et c’est bien ainsi que l’avait pensé Thomas Jolly. Dans ce spectacle où l’éclat des costumes tranche sur le noir des décors, on navigue entre ombre et lumière avec beaucoup de poésie. Lorsque le Chatelet avait présenté cette production, il y a bientôt sept ans, en février 2017, le metteur en scène n’était pas encore la coqueluche des théâtres et des manifestations officielles. Et on ne peut que se féliciter de la retrouver sur la scène de l’Opéra-Comique, où elle aurait dû être montée alors, mais les travaux de la salle Favart avaient pris du retard. Dans la fosse, Laurent Campellone défendait avec flamme et poésie les couleurs de cet « Offenbach sérieux », et nul doute qu’il va retrouver ce geste attentif, délicat, qui met en valeur les merveilles secrètes de cette authentique résurrection musicale. La distribution, en revanche, a changé. Dans le rôle-titre, Marianne Crebassa est remplacée par Gaëlle Arquez. La mezzo française qu’on avait entendu chanter un si joli Isolier, sur cette même scène de l’Opéra-Comique, dans le Comte Ory de Rossini, devrait se glisser avec élégance et sensualité dans ce magnifique rôle de travesti. Elle est ici entourée de Juliette Gauthier, Jodie Devos, Franck Leguérinel ou Jean-Sébastien Bou, dont les noms garantissent que l’œuvre sera aussi joliment dite que chantée. Laissons-nous maintenant enivrer par cet Offenbach nostalgique, car rien n’est plus touchant qu’un clown qui tombe le masque.
Fantasio, Jacques Offenbach, direction musicale Laurent Campellone, mise en scène Thomas Jolly, Opéra Comique, du 13 au 23 décembre. Plus d’informations