En ce début d’année, ne ratez surtout pas l’extraordinaire exposition Morris, 100 ans, 100 oeuvres, à la galerie bruxelloise Huberty & Breyne. Rencontre avec Bluch.
Il fait toujours beau dans les dessins de Morris, le père-créateur de Lucky Luke, c’est ce qui ressort d’emblée quand on visite l’exposition patrimoniale Morris, 100 ans, 100 œuvres que propose jusqu’au 27 janvier la galerie bruxelloise Huberty & Breyne, spécialisée en bande dessinées. À l’exception notable des « Dalton dans le blizzard », toutes les aventures du poor lonesome cowboy se déroulent dans un Far-West écrasé par le soleil. Contraste saisissant: Il pleut toujours sur Bruxelles, mais ce n’est pas cela qui doit vous empêcher de prendre le train pour aller voir cette exceptionnelle expo. De la gare du Midi il faut prendre le tramway 81 pour se rendre à la place du Châtelain où se trouve la galerie. Attention, évitez de faire la même erreur que votre serviteur, lequel, tout excité par la perspective de voir les planches originales du grand maître, est descendu 2 arrêts avant, à la station Moris, avec un seul r. Rien à voir donc avec notre Morris, né Maurice De Bevere, il y a tout juste 100 ans. Pour marquer cet anniversaire, on peut voir les virtuosités du maître à travers 100 planches originales et autant de dessins inédits, de notes, de cahiers de croquis…
Pas besoin d’être un fan du solitaire cow-boy belge pour savoir que l’expression populaire « plus vite que son ombre » est une invention de Morris. En revanche, on apprend à l’occasion de cette exposition que l’appellation « neuvième art » pour désigner la bande dessinée est aussi une trouvaille de Morris.
L’âge d’or des aventures de Lucky Luke correspond à la période où Morris collabore avec le scénariste René Goscinny, mais le cow-boy à survécu à ses géniteurs ( Morris est mort en 2001 , Goscinny en 1997). Dans les derniers Lucky Luke dessinés par Achdé, le scénariste Jul explore les relations du cow-boy solitaire avec les minorités des Etats-Unis. Dans la collection parallèle « Lucky Luke vu par… », le grand dessinateur Blutch questionne une autre facette de notre mystérieux héros : son rapport ambigu aux enfants. Et plus exactement aux « sauvageons » -pour reprendre l’expression d’un ex-ministre de l’Intérieur supposément de gauche à l’attention des jeunes des cités populaires. « Les Indomptés » le Lucky Luke de Blutch qui vient de sortir (Dargaud) est tout à la fois drôle et piquant.
On est chanceux, Blutch a accepté de répondre à nos questions après avoir visité l’exposition rétrospective consacrée à Morris…
Il y a deux ans, à la sortie de votre reprise de Tif et Tondu, « Mais où est passé Kiki ?» (Dupuis), vous m’aviez confié que vous alliez arrêter vos « hommages », « reprises » et « variations » autours des grands maîtres de la bd, qu’est-ce qui vous a décidé à reprendre Lucky Luke ?
BLUTCH : En premier lieu, je désirais faire le portrait de mon fils cadet qui est autiste. À celui qui n’a pas accès au monde, je voulais donner la parole. Mais ceci, en évitant toute complaisance autobiographique. Dès le départ, j’ai envisagé l’intégrer à un récit de fiction, Lucky Luke, en l’occurrence. Et puis, il m’a semblé juste d’associer ses frère et sœur à l’entreprise. J’avais besoin du mythe Lucky Luke… Voilà comment cette nouvelle relecture s’est construite.
Que représente pour vous Morris ?
BLUTCH : Morris, avec Hergé, est pour moi une influence majeure et primitive. Voilà 50 ans que je l’interroge. Que je tente de percer le mystère…Dans cette exposition quand je vois ces planches de BD qui ont 40, 50 et 60 ans, remuantes, pleines de vie… Il y a de quoi vous tirer des larmes. J’ai noté qu’il m’a été plus facile de voir Les Demoiselles d’Avignon ou une édition originale de la bible de Gutenberg que la couverture de Dalton City.
Si vous devez choisir une planche précise de l’expo à commenter ?
BLUTCH: La fessée de Billy The Kid, cul nu. Une des images d’humiliation les plus virulentes de la bande dessinée.
Quel est votre Lucky Luke préféré ?
BLUTCH: En ce moment, l’Empereur Smith ( Morris/ Goscinny 1976). Pour sa profonde misanthropie.
Morris, 100 ans, 100 oeuvres, galerie Huberty & Breyne, Bruxelles, jusqu’au 27 janvier