Amina Damerdji signe un deuxième roman avec Bientôt les vivants, un livre brûlant sur la décennie noire algérienne.
Laissez-moi vous parler, le remarqué premier roman d’Amina Damerdji, était une plongée dans le Cuba effervescent des années 1950. A travers le portrait d’une femme étonnante et oubliée, Haydée Santamaria, proche de Fidel Castro et du pouvoir, mais aussi des plus grands écrivains de son temps. Plus abouti encore, Bientôt les vivants, le suivant, la ramène vers le pays où celle-ci a vécu jusqu’au début de la guerre civile. L’écrivaine embrasse à bras le corps une période de l’histoire récente de grands tourments. Et remonte jusqu’en 1988, à une période où l’Algérie du président Chadli Bendjedid est secouée par les manifestations et les émeutes populaires. La jeune Selma, elle, galope sur la plage, éprise de liberté. Toujours plus à l’aise au club d’équitation à s’occuper de Sheïtane, l’étalon fougueux et difficile, que chez ses parents. Brahim Bensaïd, son père qui n’aime rien tant que soigner et réparer, vient d’être nommé chef du service de pédiatrie de l’hôpital de Baïnem, à quelques kilomètres d’Alger. Avocat, son oncle Hicham a été pris d’une lubie religieuse à son retour de l’armée et a besoin d’engagement. Ce qui lui a valu d’être arrêté par la Direction de la sûreté nationale. Un an plus tard, la création du Front islamique du salut change encore la donne. Sa victoire éclatante aux premières élections libres sans un parti unique va servir de détonateur. La mère de Selma, Zyneb, le dit : le président Chadli va devoir respecter sa promesse d’un gouvernement de coalition… La force d’Amina Damerdji est d’arriver à combiner des moments de grâce avec des moments de violence. En accompagnant l’envol de Selma, l’adolescente aux boucles brunes qui veut tenir bon vaille que vaille, se relève après chaque chute et ne cesse de s’interroger sur ce qu’elle voit autour d’elle. En faisant d’un même mouvement entrer de plein pied ses lecteurs dans le bouillonnement intérieur de ses personnages. Il y a bien des colères, des orages et des coups de tonnerre dans les pages de Bientôt les vivants. Pas facile d’exister, de s’affirmer en pareil époque de tiraillement. Quand les menaces se font chaque jour plus présentes, que certains parlent « d’éloignement temporaire » et non d’exil vers la France ou d’autres pays d’Europe. Que des voitures explosent dans plusieurs endroits de la ville et que des opérations de ratissages sont menées de plus en plus fréquemment. Toutes et tous ici se battent, dans un camp ou dans un autre, avec des résultats divers. On ne peut que trembler en traversant les chapitres du livre incarné et lancinant d’Amina Damerdji. Plus encore lorsque survient le mois de septembre de l’année 1997 qui l’ouvre et le clôt de terrible manière. Lorsque des hommes bondissent de camions en poussant des cris gutturaux, sabres à la ceinture. Et qu’Amina Damerdji se montre une romancière en pleine possession de ses moyens.
Amina Damerdji, Bientôt les vivants, Gallimard, 282 p., 21,50€, plus d’informations