Magnifique film que celui de l’Anglais Andrew Haigh, Sans jamais nous connaître, mélancolique à souhait, et plein de regrets.
Actons ce fait : Andrew Haigh est avec Joanna Hogg et Andrea Arnold ce qui est arrivé de mieux au cinéma britannique depuis des décennies. Si on leur ajoute la novice Charlotte Wells, auteure l’an dernier du bel Aftersun – qui entretient d’étonnantes correspondances avec ce film-ci, l’avenir du cinéma d’Outre-Manche est assuré. Il convient de noter au passage la tristesse qui parcourt l’inspiration de chacun de ces cinéastes. Auteur de Week-end et de 45 ans, Andrew Haigh sait démêler les liens noueux entre des personnages tendres et montrer l’amertume qu’ils ont déposée en eux. En 2017, La route sauvage avait d’ailleurs déposé chez le spectateur sa note mélancolique, au côté d’un jeune hobo si sensible qu’on s’étonnait de le voir affronter sans plier tant d’obstacles. Cette note longue et cafardeuse, intense et entêtante fait le prix du cinéma de Haigh. Dans Sans jamais nous connaître, il semble l’explorer sous toutes les coutures. À l’inverse de la trajectoire rectiligne de son héros dans La route sauvage, l’exploration se révèle cette fois labyrinthique et surnaturelle : Adam (Andrew Scott), un écrivain solitaire, rencontre et drague Harry (Paul Mescal) dans une tour abandonnée. Au cours d’une nuit sans fin, ils vont explorer la mémoire d’Adam, ses gouffres et ses plaies, en rendant visite à tous ceux qu’il a aimés et qui ont disparu, notamment ses parents. Jamais Haigh n’étouffe son récit sous les artifices du fantastique et les transitions voyantes pour signifier des changements de régime entre ce qui est réel et ce qui ne l’est. Au contraire, avec une douceur méditative, il rend poreuses les frontières entre les époques, le rêve et la mémoire, les vivants et les morts. Comme Joanna Hogg cette année (The Eternal Daughter), Haigh fabrique un film de fantômes où le passé se confond avec un présent ambigu. Adam vient se coucher auprès de sa mère puis se retrouve, par un simple recadrage, entre ses deux parents. Alors qu’il s’adresse à Harry, un plan large révèle qu’il est en train de présenter son amant à ses géniteurs. Au-delà de cette exploration des strates de la réalité subjective, la vraie audace est d’oser la répétition de certains dialogues comme de certaines situations de manière à faire ressentir le ressassement obsessionnel de tous ces mots qu’Adam aurait voulu prononcer du vivant de ses proches et qu’il n’a jamais su leur dire. Rarement aura-t-on aussi bien montré au cinéma l’enfer de la persistance des regrets. Ajoutez à cela que Haigh se révèle d’un point de vue plastique inspiré, inventant des anamorphoses pour traduire l’état émotionnel d’Adam comme ce reflet dans la glace qui, par un souffle de buée et quelques gouttes grosses comme des larmes, se change en Pietà. En accordant ce voyage au bout de nos regrets à l’entêtante partition de la pianiste française Emilie Levienaise-Farrouch, Andrew Haigh transforme l’univers en un grand champ de spleen. Comme tous ceux qu’on a aimés mais qu’on n’a pas eu le temps d’assez chérir, ce film est inoubliable.
Sans jamais nous connaître d’Andrew Haigh, avec Paul Mescal, Andrew Scott The Walt Disney Company France en salle dès le 14 février