La Cinémathèque de Toulouse organise un cycle autour des usines au cinéma, des frères lumières Lars Von Trier, en passant par Fritz Lang. Passionnant.
Un cycle intitulé « Sorties d’usine » proposé par La Cinémathèque de Toulouse se révèle à la fois engagé et intimement lié à l’histoire du cinéma. Depuis les plans des frères Lumière à Lyon capturant « La sortie des usines Lumière » (1895) en passant par les variations de Motion Picture ou La Sortie des ouvriers de l’usine Lumière à Lyon de Peter Tscherkassky (1984) jusqu’à l’essai documentaire La Sortie d’usine (Die Arbeiter verlassen die fabrik, 1995) de Harun Farocki, ce qui est saisi par le cinéma c’est d’abord le mouvement. René Clair l’expliquait déjà en ces termes : « S’il est une esthétique du cinéma, elle a été découverte en même temps que l’appareil de prises de vues et le film, en France, par les frères Lumière. Elle se résume en un mot : “mouvement”. » Au seuil de l’usine, dans ce lieu frontière éminemment politique, le cycle revivifiant convoque une foule de films liant pêle-mêle Lars von Trier (Dancer in the Dark) Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin (Tout va bien), Chaplin (Les Temps modernes) Lang (Metropolis) et les studios Pixar (Monstres & Cie).
Mais reprenons. Les frères Lumière travaillent d’emblée le mouvement qu’ils relient à un autre aspect majeur du cinéma, la reprise, justement. Auguste et Louis ont en fait tourné trois versions de « La sortie des usines Lumière ». Reprendre, modifier, répéter, refaire, c’est aussi l’essence du cinéma et ce dès les origines ; les reprises ou retakes, pour utiliser le terme en vogue à Hollywood, laretake City où l’on usine les rêves, appartiennent au cinéma. Farocki, lui, traque la scène de sortie d’usine dans des documentaires, des fictions, des films industriels ou de propagande. Son montage convoque Griffith, Lang, Siodmak ou Antonioni, ouvrant le dialogue avec des films soviétiques, des archives tournées à Lyon, à Détroit, des images de télésurveillance. Il interroge la place du sujet dans, puis devant l’usine, du sujet « qui se définit par l’usine ». Que signifie « la vie commence quand le travail finit » ? Il questionne le mouvement des corps libérés du travail.
La reprise et ses variations. C’est également tout le propos du documentaire de 3 heures, Reprise, signé Hervé Le Roux. Le cinéaste décline l’expression reprise du travail en écho à repris de justice, il y voit des parias, telle cette femme criant sur une photo à qui il veut redonner une place. Une femme arrêtée au seuil de l’usine puisque le cinéma s’arrête toujours au seuil avant 68, qui clame haut et fort à la fin de la grève : « Non, je ne rentrerai pas… Je foutrai plus les pieds dans cette taule… » Même si l’usine de Saint-Ouen est fermée, Hervé Le Roux ne peut oublier le visage et la voix de cette femme. Il part en quête d’un fantôme et décide qu’il lui doit une deuxième prise. Son documentaire travaille cette reprise en la dentelant, il recoud, reprisant le film d’archive avec de nouvelles images tournées en 1995. Toutes ces sorties d’usine viennent capturer des témoins qui donnent du sens à l’Histoire, la grande et la petite et remettre des corps en mouvement. Un cycle revivifiant, vous dis-je.
Cycle « Sorties d’usine », à la Cinémathèque de Toulouse jusqu’au 13 mars