La BPI (La Bibliothèque publique d’information, du Centre Pompidou-Paris) a eu un sacré flair en programmant pour cet automne-hiver une large rétrospective consacrée à Posy Simmonds, la reine du roman graphique britannique.
Ouverte le 28 septembre dernier, l’exposition Posy Simmonds. Dessiner la littérature est visible jusqu’au 1er Avril.
Entre temps, juste à la mi-temps de l’évènement de Beaubourg, le 24 janvier 2024 exactement, Posy Simmonds a été élue par ses pairs français Grand Prix d’Angoulême. Voilà un prix qui tombe à pic, aussi bien pour la BPI que pour son éditeur français, Denoël Graphic, qui ne pouvait rêver d’un plus beau cadeau pour ses 20 ans d’existence.
À 78 ans, la « romangraphiqueuse » d’outre-manche devient ainsi la cinquième femme à obtenir la distinction suprême du plus grand festival de bandes dessinées du monde. Et grâce à elle, la Grande Bretagne fait enfin son entrée dans la liste des Grands Prix d’Angoulême, autant dire le panthéon mondial de la bande dessinée.
Posy Simmonds, c’est Claire Bretecher au pays des Monty Pythons. Trait fin, humour trash, elle dézingue avec férocité la bonne société intellectuelle de gauche cultivée et bien-pensante dont elle est issue.
Longtemps dessinatrice de presse, elle a collaboré avec le Sun, le Times avant d’entamer avec le Guardian, une longue et riche collaboration de 1972 jusqu’en 2008. C’est dans les colonnes de ce célèbre quotidien de centre gauche, qu’elle a publié en feuilletons Gemma Bovery et Tamara Drewe, ses deux plus grands succès. Le premier, comme on s’en doute, est un hommage à Flaubert, le second une adaptation d’un roman de Thomas Hardy.
Posy Simmonds aime la littérature, d’où l’intitulé de l’exposition Dessiner la littérature, mais son amour des livres ne l’empêche pas de critiquer au vitriol le petit milieu littéraire londonien, qui ressemble d’ailleurs furieusement au notre, comme elle l’a fait dans le hilarant Literary Life, un recueil de petites histoires publiées entre 2002 et 2005 dans le supplément littéraire du Guardian.
Née en 1945 à Berkshire, dans la campagne anglaise, Posy Simmonds a été le témoin privilégiée de l’embourgeoisement des élites londoniennes, elle sait de quoi elle parle quand elle dessine ses semblables. En bonne anatomiste de la société du spectacle de notre époque et de ses vanités, elle croque d’une manière élégante et cruelle un monde qui court à sa perte tout en se gardant de faire la morale. On lui a beaucoup reproché de remplir ses cases par des textes, parfois trop longs, mais jamais cela ne se fait au détriment du dessin, donnant ainsi tout son sens au genre « roman graphique ».
Ses oeuvres de référence ont été adaptées au cinéma : en France par Anne Fontaine (Gemma Bovery, 2014) et outre-manche par Stephen Frears (Tamara Drewe, 2010)
Posy Simmonds est féministe à sa manière, comme l’a été Claire Bretecher dans la France Gauche-caviar, c’est à dire sans appartenir à un quelconque troupeau de pleurnicheuses, ses héroïnes sont de magnifiques déviantes. Dernier personnage en date Cassandra Darke (2018), une vieille sexagénaire indigne et misanthrope, tout à la fois moche et esthète, directrice d’une galerie d’art contemporain dans le très chic Chelsea de Londres.
Cassandra Darke est le portrait inversé de Posy Simmonds, tout le génie de la dessinatrice est de nous la faire aimer malgré ses tares. De ce fait, si on veut comprendre comment les jeunes progressistes d’hier sont (presque tous) devenus les vieux réac’ d’aujourd’hui, il faut lire les histoires de celle qui a merveilleusement échappé à son destin.
- À lire- par ordre de préférence : Gemma Bovery, Literary Life, Tamara Drewe, Cassandra Darke (Denoël Graphic). True Love : une romance graphique,
- À voir :« Posy Simmonds. Dessiner la littérature », exposition à la BPI du Centre Pompidou jusqu’au 1er avril 2024. Tout l’univers de la grande illustratrice à travers ses dessins, esquisses et carnets de travail, et avec des extraits de quelques adaptations cinématographiques tirées de ses romans