Hugo Coniez signe un essai passionnant sur la fin de la IIIe République, sous forme de chroniques quotidiennes.
Le 10 juillet 1940, le Parlement vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. C’est un point de bascule. La IIIe République fut ; un régime autoritaire se met en place. Un régime collaborationniste, antisémite, antirépublicain. Comment en est-on arrivé là ? Etait-ce une fatalité ? Qui sont les responsables de cette catastrophe ? Aurait-on pu faire autrement ? C’est à toutes ces questions que répond d’une langue précise et claire Hugo Coniez. À travers le choix du temps cours. Une chronique quotidienne des derniers jours d’une République mourante. Comme anesthésiée pour reprendre Julliard.
Alors pourquoi ? Coniez, à travers une description minutieuse du crépuscule républicain, convainc. Il suffit de voir comment tout cela s’est déroulé au sommet de l’état. La IIIe République choit, à cause d’une poignée d’hommes. Politiques et militaires. Comme le constate Coniez, à rebours de la Révolution française et d’autres révolutions, ici, pas de responsabilité du peuple. Oui, une poignée d’hommes, alors que l’opinion française est largement favorable au régime républicain, enterre cette République qui s’enracinait bel et bien. Il y a les circonstances, bien sûr, qui jouent un rôle. La bataille de France, qui tourne au fiasco, faute d’une stratégie militaire efficace ; Paris une première fois bombardé le 4 juin 1940 ; l’exode où des millions de Français saturent, souffrent, meurent ; Mers El-Kebir ; la panique des uns et des autres, face au chaos, entraînant une série catastrophique de décisions. Mais le frappant du livre, c’est la responsabilité du personnel politique en place. Les républicains, lâches, indécis, faibles ; les antirépublicains, trop heureux d’installer un régime autoritaire sinon fasciste.
Côtés républicains, Paul Reynaud, le président du Conseil, apparaît aimable. Jusqu’à la fin, il se bat pour sauver cette République. Mais il commet des fautes politiques lourdes de conséquences. Comme de faire entrer des loups dans la bergerie, sous l’influence de sa femme la Comtesse de Portes, et des très antirépublicains Pétain et Weygand. Pensant jusqu’au bout dominer un gouvernement d’union sacrée entre partisans et opposants à l’armistice. « Il faut résister jusqu’au bout », dit-il plusieurs fois en Conseil des ministres. Il se débat, supplie Roosevelt de venir en aide de la France pour contrer les Allemands : en vain ; il quémande à Churchill des avions de la RAF : en vain. Reynaud croit en cette alliance anglo-saxonne dure comme fer : le 12 juin, « Il ne faut pas séparer la France de l’Angleterre et des États-Unis, car l’avenir de la France dépend de ces deux pays. Le monde anglo saxon sauvera la France » Quelle clairvoyance ! Si les Américains et les Anglais étaient intervenus plus tôt, qui sait si la République ne se serait pas maintenue ? Reynaud multiplie les déclarations contre un armistice, il est irréprochable : un monde dominé par Hitler serait « un Moyen-Âge revenu qui ne serait pas illuminé par la pitié du Christ ». L’idée court aussi chez « les durs » que le gouvernement pourrait s’installer à Londres ou à Alger. Pour résister, éviter l’armistice. L’idée est défendue jusqu’à la chute de la République, mais n’aboutit pas. En face, le généralissime Weygand, à la Défense, et Pétain, vice-président du Conseil, jouent leur partition à merveille. Weygand entre plusieurs fois en Conseil des ministres, pour annoncer les défaites de l’armée française : « Vous voulez aller jusqu’au bout ? Mais vous y êtes, au bout.(…) Vous attendez que j’ordonne à ces malheureux soldats, dont vous savez l’épuisement et les souffrances, de se faire exterminer jusqu’au dernier. Rien n’est plus facile. Je suis comme vous, Messieurs les ministres, j’habite un château et je prends mes bains tous les jours. » Pétain en rajoute une couche le 16 juin : « L’avance de l’ennemi, si l’on n’y met un terme, conduira à la destruction totale du territoire. (…) la famine est inévitable à très brefs délais.(…)Je vous remets donc ma démission des fonctions de ministre d’État et de vice-président du Conseil. »
Le camp anti-armistice, Mandel en tête, plie de plus en plus face de tels arguments.
De Gaulle aura beau faire, il ne pèse pas lourd. Churchill, comme à la Conférence de Briare au château des Muguet, le 11 juin, tente à coups de cognac de galvaniser les Français. Ça marche un temps. Mais il ne suffit plus. Essouflement. Le président du Sénat Jules Jeanneney, est un républicain convaincu, mais se montre peu combatif. Quant à Herriot, président de l’assemblée nationale, il tombe en dépression.
Pierre Laval entre en jeu. Pétain, devenu président du Conseil suite à la démission de Reynaud, le nomme le 23 juin ministre d’État, puis vice-président du Conseil. Dès sa nomination, Laval
annonce la couleur : « Désormais les quatre hommes seuls de taille à mener de conserve les destinées de l’Europe sont Hitler, Staline, Mussolini et moi. » D’emblée, il déclare souhaiter mettre à bas la IIIe République : « Cette chambre m’a vomi. C’est moi maintenantqui vais la vomir. »
Weygand renchérit le 28 juin, exhorte Pétain à rompre avec la République et « ses compromissions maconniques, capitalistes et internationales, qui nous ont conduits où nous sommes. » Sans parler de la baisse de la natalité qui a ammené des « naturalisations massives et regrettables. » Il lui propose un nouveau régime, « Dieu, travail, famille, Patrie ». Pétain acquiesce. Jubile. Il souhaite très vite être à la tête d’un régime autoritaire. Weygand, monarchiste, aussi. Laval, déjà pro-allemand, mène la campagne tambour battant pour achever cette République moribonde. Il s’entoure de futurs collabos : Alibert, Vallat, Déat, Spinasse, Bergery. Il promet aux uns des postes dans le nouveau régime, et menace les autres s’ils ne votent pas la révision constitutionnelle donnant les pleins pouvoirs à Pétain. Le 4 juillet, il argue devant les députés que « Si le Parlement n’y consent pas, c’est l’Allemagne qui nous imposera toutes ces mesures. » Le 8 juillet, il laisse croire au Parlement qu’il est en lien avec Hitler : « Le chancelier Hitler accordera à la France une paix honorable, mais pour l’obtenir, nous devons pratiquer une collaboration loyale avec l’Allemagne. »
Le parlement déteste Laval, sa vulgarité, sa brutalité, sa morgue, son autoritarisme. Mais
Le 10 juillet, la révision de la constitution est votée. Fin de partie pour les lois constitutionnelles de 1875. On entend Laval dire à voix basse : « Voilà comment l’on renverse une République. » Et Weygand aurait dit : « Je n’ai pas eu les Boches, mais j’ai eu le régime. » Laval sort du parlement le sourire aux lèvres. Direction l’hôtel du Parc où Pétain attend le résultat des scrutins. Discussion : « Vous avez désormais un pouvoir plus grand que celui de Louis XIV.
- Il me faudra donner des favorites alors
- Je vous offrirai trois, une comme Maréchal de France, une comme chez de l’Etat, une comme président du Conseil. »
La république est « assassinée ». La Révolution nationale s’organise. C’est le début de la Collaboration avec l’Allemagne nazie. Vichy exulte. Une tâche indélébile.
Hugo Coniez, La mort de la IIIe République, 10 mai-10 juillet 1940 : de la défaite au coup d’État, Perrin, 384p., 23€